Aquifère du Bajocien-Bathonien en Normandie (ex-Basse-Normandie)

Les formations du Jurassique du territoire de Basse-Normandie sont constituées d’une alternance de calcaires et de marnes déposés durant près de 50 Ma, depuis l’Hettangien (calcaires de Valognes) jusqu’au Kimmeridgien (Cap de la Hève).

Au sein de cet intervalle stratigraphique, les calcaires constituent des formations aquifères parmi lesquelles l’aquifère   du Bajo-Bathonien représente la ressource en eau souterraine la plus exploitée du territoire de Basse-Normandie.

Sommaire de l’article :

  1. Quelques éléments de géologie
    1. Une lithostratigraphie complexe
    2. La Basse-Normandie au Jurassique
    3. Des formations bajo-bathoniennes dont la géométrie donne naissance à plusieurs aquifères
  2. Deux aquifères jurassiques superposés
  3. L’aquifère du Bajocien
    1. Un milieu fissuré, localement très karstique
    2. Deux secteurs d’écoulement distincts
  4. L’aquifère du Bathonien
    1. Un aquifère multicouches
    2. Des comportements hydrodynamiques variés
    3. L’exploitation de la ressource

Quelques éléments de géologie

Une lithostratigraphie complexe

Les spécificités des formations aquifères du Bajo-Bathonien résident dans l’hétérogénéité des roches composant les réservoirs :

  • Hétérogénéité verticale due à la superposition de formations sédimentaires à faciès variés (calcaires, marnes et caillasses)
  • Hétérogénéité horizontale marquée par la présence de zones fracturés et fissurés, voire karstifiées
  • Hétérogénéité spatiale due aux variations latérales de faciès et aux conditions paléoenvironnementales variables régissant le dépôt des formations bajo-bathoniennes

Cette hétérogénéité verticale et latérale des terrains jurassiques s’explique en grande partie par l’histoire géologique de la Basse-Normandie au Jurassique. Une histoire géologique marquée par les va-et-vient de la mer jurassique le long de la bordure ouest du Bassin Parisien.

La Basse-Normandie au Jurassique

Dès le Jurassique inférieur, une transgression marine progresse depuis le cœur du Bassin Parisien vers le domaine émergé armoricain. D’abord timide à l’Hettangien durant lequel se mettent en placent des calcaires détritiques sous faible tranche d’eau (calcaires de Valognes), l’ennoiement marin de la bordure du massif Armoricain s’affirme au Sinémurien supérieur, avec le dépôt de marno-calcaires à huîtres, typiques d’un environnement calme de vasière marine peu profonde.

Colonne lithostratigraphique des formations jurassiques de Basse-Normandie (d’après Dugué et al., 1998 modifié)

Au Jurassique moyen, se développe une plateforme où des vases et des sables calcaires coquilliers se déposent dans une mer chaude peu profonde. C’est dans cette ambiance de plateforme carbonatée (à l’image de celle existant de nos jours sous les tropiques) que se mettent en place les calcaires formant les falaises littorales du Bessin et les plateaux la Plaine de Caen-Falaise.

A la fin du Bathonien, la plateforme carbonatée armoricaine est ennoyée. Les environnements de dépôt s’approfondissent et permettent la mise en place, au Callovien puis à l’Oxfordien, d’une épaisse série marneuse, particulièrement bien exposée dans les falaises des Vaches Noires entre Houlgate et Villers-sur-mer.

A l’Oxfordien moyen, des calcaires coralliens, comme ceux armant les reliefs du Pays d’Auge surplombant Villers-sur-mer, Blonville-sur-mer et Deauville-Trouville, annoncent le développement d’une nouvelle plateforme carbonatée qui fonctionnera seulement deux millions d’années. De l’Oxfordien supérieur jusqu’au Kimméridgien, les dépôts marneux d’une vasière marine représentent les derniers termes du Jurassique bas-normand.

Les formations marno-calcaires jurassiques de Basse-Normandie se sont ainsi déposées dans une mer épicontinentale située en bordure de la vaste île que formait le massif Armoricain. Cette mer était tantôt sous l’influence d’eaux chaudes venant du Sud permettant le développement d’une plateforme carbonatée tropicale peu profonde, tantôt sous celle d’eaux froides venant du Nord générant des dépôts marneux en milieu plus profond. Cette histoire géologique faite de « va-et-vient » de la mer au Jurassique explique la présence de formations tantôt calcaires, tantôt marneuses.

Des formations bajo-bathoniennes dont la géométrie donne naissance à plusieurs aquifères

La sédimentation du Jurassique moyen s’inscrit dans une tendance à la transgression depuis l’Aalénien jusqu’au Bathonien inférieur. Cette transgression fait suite à une période d’instabilité (Toarcien supérieur à Aalénien inférieur) qui provoque érosions, lacunes de dépôts et sédimentation condensée. Ce n’est que dans la partie supérieure de l’Aalénien que s’installe en Basse-Normandie la plateforme carbonatée armoricaine.

Si de l’Aalénien supérieur jusqu’au Bathonien supérieur, le milieu de dépôt correspond essentiellement à celui d’une plateforme carbonatée, des oscillations cycliques du niveau marin font néanmoins varier les environnements (et les faciès) entre :

  • Une plateforme proximale avec des calcaires parfois détritiques, souvent oolithiques de faible tranche d’eau, qui marquent les phases de progradation de la plateforme
  • Une plateforme externe avec des marnes et des calcaires marneux à faciès caillasses, qui enregistrent des épisodes transgressifs

Superposée à cette évolution cyclique des environnements de dépôt, la persistance de haut-fond paléozoïque sur la bordure du massif Armoricain perturbe localement la distribution paléogéographique des dépôts durant tout cet intervalle stratigraphique.

La répartition des principaux faciès sédimentaires au sein des formations du Jurassique moyen de Basse-Normandie (d’après Dugué et al., 1998)

Les formations du Jurassique moyen bas-normand révèlent ainsi des faciès qui varient dans l’espace et dans le temps, entre des faciès franchement calcaires et des faciès plus marneux. Cette alternance verticale et latérale des faciès forme un ensemble multicouche dont le comportement hydrogéologique varie à l’échelle de la Basse-Normandie.

  • Côté Bessin, la présence des puissantes marnes de Port-en-Bessin délimite verticalement les deux principaux aquifères régionaux, l’aquifère   bathonien surmontant l’aquifère   (aaléno-) bajocien
  • Côté plaine de Caen, l’absence des marnes de Port-en-Bessin ne permet plus de différencier les deux aquifères principaux. La présence de plusieurs horizons plus marneux (les caillasses) au sein du Bathonien semble néanmoins constituer des niveaux peu perméables qui isolent des compartiments hydrogéologiques à l’intérieur du Bathonien (cas des calcaires de part et d’autre de la caillasse de Fontaine-Henry au sud-est de Caen)
Succession lithostratigraphique des formations bajociennes et bathoniennes de Basse-Normandie (d’après Dugué et al., 1998 modifié)

Deux aquifères jurassiques superposés

Au nord-ouest du Calvados (Bessin, campagne nord de Caen), la partie inférieur du Bathonien est constitué par les marnes de Port-en-Bessin qui peuvent atteindre jusqu’à 50 m d’épaisseur et qui délimitent les aquifères bajocien et bathonien.

Toutefois, l’épaisseur des marnes de Port-en-Bessin diminue progressivement vers l’est jusqu’à disparaître à quelques kilomètres de Caen (Bellengreville). Et en l’absence des marnes de Port-en-Bessin, les aquifères du Bajocien et Bathonien sont en continuité hydraulique, ne formant plus qu’un seul aquifère  , l’aquifère   du Bajo-bathonien.

Cette configuration où il n’est plus possible de différencier deux aquifères superposés est également rencontrée plus localement à proximité immédiate des écueils paléozoïques, autour desquels la dynamique sédimentaire et le milieu de dépôt des carbonates ont donné lieu à la mise en place de faciès grossiers perméables durant tout ou partie de l’intervalle stratigraphique couvrant le Bajocien et le Bathonien.

L’aquifère   du Bajocien

L’aquifère   du Bajocien est composé des formations suivantes, des moins profondes au plus profondes :

  • Calcaires à spongiaires : très bon niveau aquifère   d’environ 15 m
  • Sédimentation ferrugineuse (oolithe ferrugineuse de Bayeux)
  • Calcaire   de la Malière composé de bancs de calcaires très durs à silex et de niveau conglomératique à enduit glauconieux
  • Sédimentation ferrugineuse (Oolithe ferrugineuse qui marque la base de la série Aalénienne)

Les calcaires à spongiaires constituent un très bon niveau aquifère   d’environ 15 m, ce niveau est karstifié dans la vallée de l’Aure.

Un milieu fissuré, localement très karstique

Dans l’aquifère   du Bajocien, l’eau s’écoule dans un milieu fissuré, localement très karstique. La nappe est libre dans le secteur de Bayeux et au sud-ouest de Caen. Sous les marnes de Port-en-Bessin qui sont présentes au nord du département du Calvados, la nappe bajocienne est captive.

Deux secteurs d’écoulement distincts

La carte piézométrique   de la nappe du Bajocien (basses, moyennes et hautes eaux), réalisée dans le cadre de l’atlas hydrogéologique du Calvados, montre que deux secteurs d’écoulement se distinguent :

  • soit la nappe s’écoule vers la mer
  • soit elle est drainée par l’Orne ou la Dives

Le niveau piézométrique   moyen est de 120 m NGF à l’ouest et au sud, et de 20 m NGF à l’est et au nord. Les gradients hydrauliques sont faibles dans les vallées et plus forts sous les plateaux. Dans le secteur de la plaine de Caen-Falaise et d’Argentan, le Bajocien et le Bathonien constitue un seul aquifère  .

L’aquifère   du Bathonien

Un aquifère   multicouches

L’aquifère   du Bathonien est un aquifère   multicouches. Les niveaux calcaires (calcaire   de Caen, calcaire   de Creully, calcaire   de Blainville, calcaire   de Ranville, calcaire   de Langrune, etc) sont séparés par des niveaux moins perméables et plus marneux, appelés caillasses (caillasse de Fontaine-Henry, caillasse de Blainville, caillasse de la Basse-Ecarde).

D’une épaisseur variable d’environ 10 m à l’ouest, à près de 90 m au sud-est de Caen, l’aquifère   du Bathonien est considéré comme un aquifère   multicouche.

La nappe est de type libre, devenant captive sous les marnes callovo-oxfordiennes à l’est du Calvados.

Des comportements hydrodynamiques variés

La carte piézométrique   de la nappe du Bathonien (basses, moyennes et hautes eaux), réalisée dans le cadre de l’atlas hydrogéologique du Calvados montre que l’écoulement général est orienté vers le nord-est et le nord.

A proximité de la vallée de l’Orne, le cours d’eau draine la nappe.

Le suivi piézométrique   de la nappe du Bathonien fait apparaître des comportements hydrodynamiques variés, dans certains secteurs (ex : Mathieu) la nappe évolue en cycles saisonniers.

Chronique piézométrique du puits de Mathieu (14) (ADES)

Dans ce cas, la recharge de la nappe s’effectue entre novembre et mars de l’année hydrologique, les niveaux atteignent un maximum entre janvier et mars. La vidange de la nappe s’enclenche généralement à partir de mai, les niveaux les plus bas sont observés en septembre, octobre.

En revanche dans d’autres secteurs, tel qu’à Cintheaux dans le Calvados, les fluctuations piézométriques sont représentatives de cycles pluriannuels, marqueur d’une nappe à caractère inertiel.

Chronique piézométrique de Cintheaux (14) (ADES)

La transmissivité   de l’aquifère   du Bathonien varie entre 10-1 et 10-2 m2/s pour les zones les plus productives, en zone libre le coefficient d’emmagasinement   varie entre 10-1 et 10-3.

L’exploitation de la ressource

L’aquifère   du Bajo-Bathonien est une ressource en eau souterraine majeure dans le Calvados. Avec des débits de l’ordre de 300 m3/h dans le Calvados et de l’ordre de 100 m3/h dans l’Orne, l’aquifère   du Bajo-Bathonien est un des aquifères le plus productif de Basse-Normandie.

Une zone de répartition des eaux (ZRE) est délimitée dans la nappe du Bajo-Bathonien.

Dans le cadre de la révision de la délimitation de la ZRE et du calcul du volume prélevable, une étude a été menée par le BRGM sur la modélisation des aquifères de la plaine de Caen et du bassin de la Dives.

Pour en savoir plus : quelques références bibliographiques

  • Wuilleumier A., Allanic C., Boudet M. et al. (2013) - Modélisation des aquifères de la plaine de Caen et du bassin de la Dives. Phase 1 : Collecte des données, synthèse hydrogéologique et construction du modèle géologique. Rapport BRGM/RP-62002-FR. 178p
  • Croiset N., Wuilleumier A., Bessière H., Gresselin F. (2013) - Modélisation des aquifères de la plaine de Caen et du bassin de la Dives. Phase 2 : Construction et calage du modèle hydrogéologique. Rapport BRGM/RP-62648-FR. 130p
  • Wuilleumier A, Croiset N., Seguin J-J. (2014) - Modélisation des aquifères de la plaine de Caen et du bassin de la Dives. Phase 3 : Utilisation du modèle hydrogéologique pour la mise à jour de la ZRE et le calcul des volumes prélevables. Rapport BRGM/RP-62863-FR. 53p.
  • Dugué O., Fily G., Rioult M., 1998 - Le Jurassique des Côtes du Calvados. Biostratigraphie, sédimentologie, paléoécologie, paléogéographie et stratigraphie séquentielle. Bulletin trimestriel de la Société Géologique de Normandie et des Amis du Muséum du Havre, Tome 85, Fascicule 2, 132 p.
  • Les cartes piézométriques de l’aquifère du Jurassique sont téléchargeables depuis l’article « Isopièzes du Jurassique) »

Revenir en haut