Temps de transfert et tendances d’évolution des nitrates et pesticides

Les pollutions diffuses en nitrates et pesticides sont l’une des causes principales de la dégradation des masses d’eaux en France et en Europe. Il apparaît important pour la gestion des eaux souterraines de prendre en compte les temps de transfert des solutés et les tendances d’évolution.

Sommaire de l’article :

  1. Contexte
  2. Datation des eaux souterraines et relation avec la teneur en nitrate
  3. Profils nitrate et temps de transfert dans la zone non saturée
  4. Modélisation du transfert des nitrates et des produits phytosanitaires
  5. Tendances d’évolution des concentrations en nitrates
  6. Tendances d’évolution des concentrations en pesticides
  7. Les solutions envisagées sur le bassin Seine-Normandie

Contexte

La surveillance accrue de la qualité des eaux souterraines depuis plusieurs années a mis en évidence une contamination plus ou moins importante des aquifères par les nitrates et/ou par les produits phytosanitaires en Europe et notamment en France (Barbash et al., 2001 ; EEA, 1999 ; IFEN, 2004).
De nombreuses études locales ont été menées, souvent à l’échelle du bassin versant, afin de dater les eaux souterraines, d’évaluer une vitesse de transfert au sein de la zone non saturée (ZNS), et de caractériser le stock en nitrates ou autres solutés présents dans cette zone non saturée.
Une étude menée conjointement par l’Agence de l’eau Seine-Normandie et le BRGM (Lopez B. et al, 2012 – Barna N. et al, 2012) a permis de mieux caractériser les pollutions diffuses (nitrates et produits phytosanitaires) à l’échelle du bassin Seine-Normandie, en particulier leur temps de transfert dans les aquifères. Cette étude se base à la fois sur l’état de contamination mais aussi en valorisant et interprétant les données historiques de qualité.

Datation des eaux souterraines et relation avec la teneur en nitrate

L’objectif de dater les eaux souterraines c’est-à-dire de déterminer de l’âge de l’eau est de chiffrer le temps écoulé à partir du moment où l’eau devient souterraine et d’ainsi :

  • connaître le taux de renouvellement des eaux souterraines ;
  • préciser l’origine de la pollution, et notamment de dater les nitrates présents dans la nappe et de déterminer les tendances ;
  • prévoir l’impact d’un changement d’occupation des sols ou de pratiques culturales.

La datation des eaux souterraines a été entreprise à plusieurs occasions lors d’études assez locales mais également lors de campagnes exceptionnelles en 2009-2010 sur l’ensemble du bassin Seine-Normandie (Lopez B., 2012 - Baran N., 2012). Les outils, tritium, gaz CFCs et SF6 se sont avérés pertinents pour estimer un âge pour les eaux relativement récentes (dernières décennies) ou à l’inverse discriminer des eaux antérieures à 1950-1960 (Gourcy et al., 2008 - Vergnaud-Ayraud et al., 2008). Ces outils, couplés à d’autres approches, servent à améliorer la compréhension du fonctionnement du système hydrogéologique.

Synthèse des âges apparents estimés sur le bassin regroupés en 6 classes et localisation des points où l’âge varie d’une période à l’autre (n=239) (BRGM, Lopez B., 2012 - Baran N., 2012)
Constitution des groupes d’âge apparent (Source : Lopez B., 2012 - Baran N., 2012)
Groupe d’âgeNombre de pointsModèle piston Date de rechargeModèle exponentiel Temps moyen de résidence (ans)Mélange binaire % eaux jeunes
1 25 >2000 <5 >95
2 64 1991-2000 5-15 81-95
3 91 1981-1990 16-25 56-80
4 27 1971-1980 26-35 31-55
5 17 1961-1970 36-45 10-30
6 11 <1960 >45 <10
Âges variables 7

À l’échelle du bassin Seine-Normandie, aucune relation claire ne peut être tirée entre l’âge apparent des eaux et la concentration en nitrates. En effet, outre l’âge apparent, de nombreux facteurs peuvent affecter la qualité des eaux souterraines vis-à-vis du paramètre nitrate et notamment l’évolution temporelle de la pression azotée. Toutefois, de façon logique, le groupe avec les âges les plus anciens est celui qui présente les teneurs en nitrate les plus faibles ; ces eaux pourraient être antérieures à l’augmentation de la pression azotée (autrement dit à l’intensification de l’agriculture).
Localement, dans certains sites où la gamme d’âges observés sur le bassin hydrogéologique est importante, il est possible d’établir une relation entre l’âge de l’eau et la contamination en nitrate, les eaux les plus anciennes paraissent généralement peu impactées (à ce jour). Dans d’autres cas et notamment si plusieurs modes d’infiltration sont suspectés (rôle de la fracturation de la craie   dans les vallées par exemple) ou si les eaux sont très récentes, cette relation âge-teneur en nitrate n’est pas évidente ni systématique.

Profils nitrate et temps de transfert dans la zone non saturée

L’existence d’un stock de nitrate dans le sol et dans la zone non saturée consécutif à la fertilisation pendant plusieurs années a été démontrée dès les années 1980 dans des matériaux géologiques de natures variées (Baran et al., 2005 - Baran et al., 2006).
Dans certains cas, une estimation de la vitesse de transfert de l’eau dans la zone non saturée a été réalisée en parallèle à la caractérisation du stock de nitrate et l’hypothèse d’un transfert des nitrates à la même vitesse que l’eau a été émise. Dans d’autres cas, la connaissance détaillée des pratiques agricoles a permis, à dire d’expert, d’estimer une vitesse moyenne de transfert des nitrates.
Sur le bassin Seine-Normandie, ces études ont porté presque exclusivement sur la craie  , en Normandie, Picardie et Champagne. Au sein de la zone non saturée crayeuse, les vitesses estimées sur les différents sites varient de 0,27 à 0,9 m/an pour un transfert au sein de la matrice.
Les profils tritium établis dans les calcaires du Lutétien permettent d’alerter sur la possible coexistence de différents modes d’infiltration au sein de la zone non saturée (transfert matriciel et écoulements plus rapides à la faveur par exemple de la fracturation). Si cette dualité n’a pas été mise en évidence par les études réalisées sur le bassin Seine-Normandie, elle est connue et suspectée pour la craie   et est mentionnée par la plupart des études. En plus d’une infiltration relativement lente au sein de la matrice, une infiltration plus rapide peut coexister.
Les études réalisées illustrent clairement que dans les cas où la zone non saturée a une épaisseur importante et/ou une vitesse d’infiltration conduisant à un transfert long, l’impact de la mise en œuvre de bonnes pratiques pourrait ne pas être immédiat mais nécessiter plusieurs années voire plus d’une décennie.

Modélisation du transfert des nitrates et des produits phytosanitaires

La modélisation du transfert des nitrates et des produits phytosanitaires peut être entreprise à différentes échelles, allant du transfert 1D dans le sol au modèle 3D discrétisé représentant un bassin hydrogéologique.
En Seine-Normandie, les modélisations ont été entreprises à ces différents échelles et niveaux de complexité aussi bien pour les nitrates que pour les produits phytosanitaires. Les applications à l’échelle de bassins hydrogéologiques restent toutefois rares, particulièrement pour les phytosanitaires.

Tendances d’évolution des concentrations en nitrates

Sur l’ensemble du bassin Seine-Normandie, les tendances d’évolution des concentrations en nitrate ont été étudiées en se basant sur les données historiques et selon plusieurs approches statistiques (Lopez B., 2012 - Baran N., 2012).

Carte de tendances d’évolution des concentrations en nitrate (Lopez B., 2012 - Baran N., 2012)

Plusieurs facteurs peuvent expliquer les tendances d’évolution des concentrations en nitrate dans les eaux souterraines :

  • le contexte géologique qui impacte notamment l’hydrodynamique ;
  • le contexte climatique et plus particulièrement l’évolution temporelle de la recharge ;
  • le contexte agronomique qui impacte la pression azotée.

Au cours des 2 dernières décennies, les grandes tendances d’évolution en nitrate à l’échelle du bassin Seine-Normandie ont été fortement gouvernées par la pluie efficace. Depuis les années 1985-90, l’évolution des pluies efficaces et des concentrations en nitrate sont clairement corrélées. Ainsi l’augmentation importante des teneurs en nitrate entre 1995 et 2001-2002 correspond une période de croissance importante des pluies efficaces. Depuis 2001-2002, la baisse des teneurs en nitrates pourrait correspondre à une période où des années hydrologiques plus sèches se succèdent bien que la corrélation soit moins perceptible que pour les années précédentes.
Plus localement, à l’échelle de secteurs homogènes, même si la pluie efficace apparaît comme un facteur important, les changements de pratique culturale (pression azotée) peuvent également gouverner l’évolution de la qualité de l’eau souterraine.

Tendances d’évolution des concentrations en pesticides

À l’instar de ce qui a été effectué pour les nitrates, les tendances d’évolution des concentrations sur 17 molécules ont été estimées sur l’ensemble du bassin Seine-Normandie, en se basant sur les données historiques (ADES  ) et selon plusieurs approches statistiques (Lopez B., 2012 - Baran N., 2012). Cependant, seules l’atrazine et son métabolite désétylatrazine semblent suffisamment quantifiés et suivis depuis assez longtemps pour envisager une analyse classique des tendances.

Deux facteurs explicatifs majeurs permettent de comprendre les situations ou les évolutions constatées des concentrations en atrazine et désétylatrazine dans les eaux souterraines :

  • les pluies efficaces
  • et l’occupation des sols/pression « phytosanitaire ».

La comparaison de l’évolution des concentrations avec les pluies efficaces montre que si depuis 2004-2005, les teneurs en atrazine semblent toujours décroitre, les années plus humides ont pu conduire à une remontée des teneurs en déséthylatrazine.
Les évolutions des teneurs en atrazine et déséthylatrazine ne sont pas comparables entre elles, notamment pour les années plus récentes à l’échelle du bassin ou selon différentes zones du bassin.

Les solutions envisagées sur le bassin Seine-Normandie

Même si le caractère diffus des perturbations rend difficile la maîtrise du cycle de l’azote, des solutions existent pour inverser cette tendance. Ces solutions montrent la nécessité d’intervenir à différents niveaux, en impliquant l’ensemble des acteurs de la société.
Les leviers sont multiples :

  • limiter à la source les fuites d’azote et de pesticides engendrées par l’agriculture, en agissant tant sur les pratiques culturales que sur l’organisation de la chaîne agroalimentaire ;
  • réduire le recours aux produits phytosanitaires en milieu urbain ;
  • améliorer l’épuration tertiaire des eaux résiduaires urbaines ;
  • concevoir des aménagements du paysage permettant d’amplifier le pouvoir d’épuration naturel de certains milieux vis-à-vis de la contamination nitrique ;

La première édition du séminaire national PollDiff’Eau « Gestion des pollutions diffuses agricoles et ressource en eau », co-organisée par l’ASTEE et l’AFB (ex-Onema), s’est tenue à Paris du 18 au 20 septembre 2013. Elle a permis de présenter à près de 260 personnes les méthodes et outils développés par certains programmes de recherche soutenus par les pouvoirs publics :

  • pour l’amélioration de la connaissance et la réalisation de diagnostics en lien avec le bon état des eaux ;
  • pour la protection efficace des captages ;
  • pour la mise en place pertinente de zones tampons.

Pour en savoir plus :

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