Aquifère de la craie picarde

La craie   du Sénonien au Turonien inférieur, affleurant au nord du Bassin Seine-Normandie dite « Craie   Picarde », constitue l’aquifère   le plus important du département de l’Oise, tant par son extension que par son degré d’exploitation.

Libre au droit du Plateau Picard et du Pays de Thelle, elle devient captive sous les formations tertiaires du Bassin Parisien ou sous les alluvions   imperméables ou semi-perméables de certaines vallées (Troësne…).

Sommaire de l’article :

  1. Quelques éléments de géologie
    1. Les conditions de dépôt de la craie
    2. La craie, une formation géologique épaisse et homogène
    3. Un aperçu structural : la formation présente un pendage faible et régulier
  2. Un réservoir aquifère important
    1. Une ressource en eau de plusieurs centaines de millions de m3
    2. La double porosité de l’aquifère de la craie
  3. Quelles sont les principales caractéristiques de la nappe ?
    1. La recharge naturelle de la nappe
    2. Les principaux exutoires : les cours d’eau et les sources
    3. Une nappe libre qui suit le relief
    4. La profondeur de la nappe est très variable
    5. Les cartes piézométriques disponibles
    6. Des fluctuations qui se superposent dans le temps et l’espace
    7. L’écoulement de la nappe captive
  4. Les principales caractéristiques hydrodynamiques de la nappe
  5. L’exploitation de la nappe de la craie
    1. L’exploitabilité de la nappe
    2. La productivité de la nappe
  6. Le suivi quantitatif de la ressource
    1. Les réseaux de suivi du niveau de la nappe
    2. Zone de répartition des eaux
  7. Le suivi qualitatif de la ressource
    1. Le réseaux de suivi de la qualité
    2. Des eaux bicarbonatées-calciques
    3. Un fond géochimique riche en fer, fluor et manganèse
    4. Une nappe largement impactée par la pollution nitratée

La craie   est présente sur l’ensemble du département de l’Oise, sauf au cœur de l’anticlinal du Pays de Bray. Elle affleure largement (400 km2) au nord d’une ligne Gisors-Beauvais-Noyon-Laon et notamment sur les versants de nombreux vallons secs et vallées humides.

Carte simplifiée de la Picardie crayeuse ( Extrait de « Aquifères et eaux souterraines en France », 2006)

Quelques éléments de géologie

Les conditions de dépôt de la craie  

La transgression marine amorcée au Crétacé inférieur s’accentue à partir du Cénomanien moyen (Crétacé supérieur) avec une invasion marine progressive du sud vers le nord, et marque le début de la grande période crayeuse qui va s’étager depuis le Cénomanien moyen jusqu’au Campanien supérieur.

Cette période se caractérise par le dépôt d’épaisses couches de craie   de plusieurs centaines de mètres de puissance, argileuse ou non, avec ou sans silex, subdivisées grâce à l’étude de la macrofaune (Micraster sp., bélemnites, ammonites) et de la microfaune (foraminifères, etc..). La craie   est un dépôt sédimentaire marin formé quasi-exclusivement par l’accumulation de tests de microscopiques organismes carbonatés, appelés coccolithes, sur le fond d’une mer moyennement profonde (150 m). La silice colloïdale se rencontre sous forme de silex généralement par bancs au sein de la craie  . L’épaisseur des formations crayeuses (Cénomanien, Turonien, Sénonien) croît du nord-est vers le sud pour atteindre plus de 300 m dans le département de l’Oise.

La fin du Sénonien marque le retrait de la mer crétacée, l’émersion totale du territoire picard et le début d’une profonde érosion et altération de ces niveaux crayeux qui va aboutir progressivement, au cours du Cénozoïque, à la formation d’importantes couches d’altérites et notamment d’argiles à silex. En surface érodée, des poches d’argile   à silex, témoins des actions de dissolution, se sont formées au sommet des formations crayeuses. Les eaux de pluie, en décalcifiant les couches supérieures, ont transformé la craie   en argile   rouge ou brune, riche en silex et d’épaisseur très variable. L’ensemble crayeux a été recouvert, durant l’ère quaternaire d’une couche de sable   fin ou de limons argileux d’origine continentale (éolienne et colluviale).

Enfin, sous les vallées, la craie   se trouve sous plusieurs mètres d’alluvions   quaternaires (sables, graviers, argiles et tourbes).

La craie  , une formation géologique épaisse et homogène

Dans l’Oise, l’épaisseur de la craie   sénonienne est de l’ordre de 200 m en moyenne et diminue dans l’axe du Bray. La lithologie apparaît assez homogène, ayant les caractéristiques suivantes, de l’étage le plus récent au plus ancien :

  • Campanien (100 m) : craie   blanche et tendre, à silex et bélemnitelles
  • Santonien (35 à 40 m) : craie   blanche et tendre, à silex à patine rosée, rares nodules de marcasites, Micraster coranguinum
  • Coniacien (25 à 60 voire 80 m) : craie   blanche, généralement plus compacte et plus massive, à silex, à Micraster decipiens et Micraster cortestudinarum

La craie   du Sénonien forme les grands plateaux du nord du département et du Vexin, recouverts de limons et colluvions.

La craie   à Micraster (oursins) du Turonien forme la majeure partie des falaises bordant le Pays de Bray et détermine l’essentiel de la cuesta sud, avec une pente verticale très caractéristique. Elle se retrouve également sur les versants de la Bresle et des vallées affluentes de la Somme (Noye et Selle), au nord du département de l’Oise. Son épaisseur est de l’ordre de 50 m vers l’anticlinal de Bray à 100 m en moyenne.

Le Turonien supérieur se définit comme une craie   grise à rares silex et à intercalations marneuses fréquentes. Elle durcit à l’air et forme ainsi des lits indurés jaunâtres dans sa partie supérieure. Le Turonien moyen est représenté par une craie   marneuse blanche avec passées indurées, gélive et dépourvue de silex. Le Turonien inférieur est formé d’une craie   grisâtre plus ou moins indurée au sommet et marneuse à la base.

Les assises crayeuses à ammonites (Acanthoceras rotomagense) du Cénomanien, épaisses de 30 à 40 m, affleurent sur le pourtour de l’anticlinal de Bray.
La craie   du Cénomanien moyen et supérieur n’est jamais glauconieuse. De couleur grise, légèrement gréseuse et à débit   en plaquettes, elle est plus tendre et sa teneur en argile   est plus faible que la craie   glauconieuse du Cénomanien inférieur. Au sommet, elle devient plus blanche et reste difficile à distinguer de la craie   turonienne.

Le Cénomanien inférieur, rencontré sur une épaisseur de 20 m, se poursuit par une craie   dure localement silicifiée et micacée où la glauconie est toujours présente en quantité variable (« craie   verte »). A la base de cette formation un niveau de glauconite meuble, sable   fin argilo-calcaire   très riche en glauconie, est constant sur 2 m d’épaisseur.

Un aperçu structural : la formation présente un pendage faible et régulier

Les terrains crayeux sont affectés par un pendage général faible et régulier vers le sud-est et le centre du Bassin Parisien, lié au phénomène de subsidence   du bassin sédimentaire et d’autre part de légers plissements secondaires orientés nord-ouest/sud-est d’origine tectonique.

La tectonique du département est principalement marquée par l’accident majeur que constitue le périanticlinal faillé du Pays de Bray, orienté nord-ouest/sud-est et qui fait affleurer les assises du Jurassique supérieur et du Crétacé inférieur. Une succession d’axes structuraux de même orientation mais nettement moins marqués s’observent de part et d’autre du Pays de Bray : synclinal de la Viosne au sud-ouest, synclinal du Thérain, anticlinaux de Saint-Just-en-Chaussée et de Margny-lès-Compiègne avec le dôme de Saint-Maur près de Gournay-sur-Aronde au nord.

Coupe géologique de la région de Méru. (Wyns R., Hardy R., Feugueur L., Monciardini C. , 1979 - Carte géologique de la France à 1/50 000, n°126)

Un réservoir aquifère   important

Le réservoir aquifère   est constitué par un ensemble de formations à dominante crayeuse (Sénonien) dont la craie   est d’autant moins franche qu’elle est ancienne, passant à une craie   marneuse au Cénomanien–Turonien, et entrecoupées d’horizons argilo-marneux ou de gaize au Cénomanien.

Le mur du réservoir est formé par les marnes argileuses du Turonien (Dièves bleues) au nord. Celles-ci disparaissent progressivement vers le sud et les craies du Sénonien, Turonien et Cénomanien forment un immense réservoir aquifère   jusqu’aux argiles du Gault (Aptien).

Une ressource en eau de plusieurs centaines de millions de m3

La ressource en eau, renouvelable et exploitable, s’évalue à plusieurs centaines de millions de m3 sur le territoire picard. De plus, il arrive localement que ce réservoir se trouve augmenté localement des sables thanétiens sus-jacents lorsqu’aucun horizon imperméable ne les sépare, ou des alluvions   sablo-graveleuses des principales vallées quand ces alluvions   reposent directement sur la craie   (Aronde, Oise à Compiègne et à Boran, Thérain en amont de Beauvais, …).

La double porosité   de l’aquifère   de la craie  

La nature lithologique de l’aquifère   de la craie   lui confère une double porosité  , à la fois d’interstices et de fissures.

Le premier type de perméabilité lié à la porosité   interstitielle du réservoir demeure très faible et ne dépasse généralement pas des valeurs supérieures à 10-5 m/s malgré une porosité   totale importante de la roche (≥ 30%).

La fracturation des bancs proches de la surface permet à la roche d’acquérir des perméabilités plus fortes : 10-3 à 10-2 m/s, conditionnant l’écoulement de la nappe et créant des écoulements turbulents. Toutefois, on ne connaît pas de véritables réseaux karstiques.

Alors que la porosité   d’interstices est relativement homogène dans l’espace, la porosité   de fissures se répartit d’une manière très hétérogène au sein de l’aquifère  .

En effet, la fissuration de la craie   est d’origine tectonique et s’est ensuite amplifiée par des phénomènes physico-chimiques de dissolution liés à l’infiltration des eaux météoriques. Elle s’est donc essentiellement développée à la fois dans les couches les plus proches du sol et dans celles situées à l’aplomb des vallées actives ou des vallons secs en zone de plateau, mais uniquement en absence de couverture imperméable. Elle se traduit en surface par des tassements de terrain alignés (rideaux) qui correspondent souvent à des secteurs productifs.

En profondeur et dans les zones sous recouvrement, la perméabilité de la roche diminue très sensiblement, cette dernière ayant conservé sa compacité d’origine. On considère que la roche compacte située au-delà de 30 à 50 m de profondeur en zone d’affleurement de la craie   constitue alors le mur de la nappe.

Quelles sont les principales caractéristiques de la nappe ?

La recharge naturelle de la nappe

L’alimentation de la nappe de la craie   est assurée par les précipitations   locales, soit directement par infiltration sur les régions où la nappe est libre, soit indirectement par ré-infiltration différée à la périphérie des affleurements tertiaires ou par drainance sous le recouvrement thanétien.

Les principaux exutoires : les cours d’eau et les sources

La nappe de la craie   est drainée par les cours d’eau, qui constituent ses exutoires et dont elle régule le débit   en leur assurant des étiages soutenus. Elle donne également naissance à de nombreuses sources qui alimentent les affluents de l’Oise :

  • les sources de dépression se situent en général en tête de vallée humide lorsque la surface de la nappe vient à affleurer. Assez peu nombreuses, elles ont un débit   général élevé (> 100 l/s) mais leur situation géographique peut varier car conditionnée par les fluctuations piézométriques de la nappe. Ainsi, en périodes de hautes eaux, ces sources « remontent » littéralement le fond des vallées, sur des distances atteignant plusieurs centaines de mètres et parfois plusieurs kilomètres. _ De telles sources peuvent également exister au centre des vallées humides, lorsque la nappe se met en charge sous les alluvions   récentes semi-perméables. Il s’agit alors de sources ascendantes, artésiennes et parfois jaillissantes.
    Il n’existe pas de grosses émergences mais plus souvent un chapelet de sources alignées selon le profil de la vallée. Les débits, parfois importants, s’échelonnent entre 1 et 300 l/s en période de hautes eaux. Ces sources peuvent également apparaître dans de grandes vasques bouillonnantes au fond desquelles aboutissent des cheminées verticales mettant en communication directe l’aquifère   crayeux et le sol. C’est le cas des « trous bleus » de la vallée de la Brèche au nord d’Essuiles, des sources du Parc de Monchy-Humières dans la vallée de l’Aronde et de celles de Songeons dans la vallée du Thérain
  • les sources de déversement apparaissent entre la surface de la nappe et un terrain peu perméable situé au toit de celle-ci. D’un débit   plus faible que les précédentes, mais plus nombreuses et moins bien circonscrites, elles se localisent en bordure des vallées humides, en limite des alluvions   et des colluvions de pente
  • les sources de débordement se rencontrent à la base de la nappe, au contact entre son mur imperméable et la surface du sol. Elles sont peu répandues au sein de la nappe de la craie  , sauf à l’intérieur du Pays de Bray où elles apparaissent au contact des craies cénomaniennes et des argiles de Gault (Albien moyen et supérieur). Elles forment ainsi des exutoires de trop-plein pour les nappes crayeuses qui, grâce au pendage des couches vers le sud-ouest, deviennent captives sous le Pays de Thelle. Il s’agit en particulier des sources d’Ons-en-Bray, d’Auteuil et d’Auneuil au débit   variable mais relativement important (60 à 200 l/s).

Une nappe libre qui suit le relief

Le régime de la nappe de la craie   est libre dans toutes les zones situées hors recouvrement imperméable ou semi-perméable, c’est-à-dire principalement sous les Plateaux Picard et du Pays de Thelle. La piézométrie de la nappe reproduit, mais de façon très atténuée, l’allure de la surface topographique.

La nappe est drainée par les vallées humides principales (Oise, Somme, Thérain, Troësne) et plus localement par les vallons secs. Elle se retrouve alors fréquemment en relation hydrodynamique avec les nappes alluviales qui lui servent de relais avec les cours d’eau naturels et les plans d’eau artificiels sous lesquels elle se retrouve en pression.

Le gradient hydraulique varie fortement en fonction de la transmissivité   de l’aquifère   : il est élevé dans les zones peu transmissives et faible dans les zones à forts écoulements. Les valeurs varient ainsi de 30 à 40‰ aux abords de l’anticlinal du Pays de Bray où la nappe est très peu épaisse (10 m) à 2‰ dans la vallée de l’Aronde où l’épaisseur de la zone saturée de l’aquifère   est importante (30 à 50 m).

La profondeur de la nappe est très variable

La profondeur de la nappe est très variable car elle dépend de la morphologie de la topographie. Elle peut atteindre 50 à 60 m voire davantage sous les plateaux, 20 à 30 m sous les coteaux et moins de 1 m sous les vallées humides.

Dans certains secteurs, elle est affleurante : marais de Sacy au nord de Pont-Sainte-Maxence, marais de la Bresle entre Clermont et Beauvais, et vallée de la Troësne près de Chaumont-en-Vexin où émergent de nombreuses et importantes sources.

Dans les vallées de l’Oise et du Thérain où l’argile   affleure et constitue le fond de vallée, les sols sont saturés en eau la plus grande partie de l’année du fait de la présence de la nappe de la craie   sub-affleurante. Localement, ils font place à des tourbières comme dans les vallées du Thérain et de la Brèche.

Les cartes piézométriques disponibles

La réalisation de cartes piézométriques permet la mise à disposition d’une donnée concernant l’altitude de la nappe au moment de la mesure représentée selon des courbes de niveau (ou isopièzes) avec une précision qui dépend de la densité de points de mesure et de la méthode d’interpolation. Ces cartes renseignent sur la situation de la nappe à l’époque de la mesure (hautes eaux, basses eaux ou moyennes eaux) ainsi que le sens et les vitesses d’écoulement.

Ainsi on dispose pour la craie   picarde des cartes suivantes de la plus ancienne à la plus récente :

  • Piézométrie moyennes eaux de 1967 (Albinet, 1967)
  • Piézométrie de hautes eaux 2001-2002 (Chrétien et al., 2007)
  • Piézométrie de basses eaux 2005 (P. Chrétien et al., 2006)
  • Piézométrie de moyennes eaux 1960-2007 (Chrétien et al., 2007)

Les cartes piézométriques sont téléchargeables dans l’article sur les cartes piézométriques.

Des fluctuations qui se superposent dans le temps et l’espace

L’amplitude des fluctuations de la surface piézométrique   croît depuis les fonds de vallées actives jusqu’aux crêtes piézométriques. La surface piézométrique   subit diverses fluctuations qui se superposent dans le temps et l’espace :

  • fluctuations rapides ou légèrement différées à des profondeurs inférieures à 20 m dans des craies très transmissives ce qui induit des réactions piézométriques à chaque phase pluvieuse, suivies par des décrues aussi rapides. Ces fluctuations sont fréquentes, notamment à proximité des vallées humides où la craie   est plus perméable, de courte durée (entre la journée et le mois) et de faible amplitude (inférieure à 1 m). Des pluies orageuses intenses peuvent également provoquer localement des recharges significatives sous les plateaux en raison d’une très forte perméabilité des terrains de couverture
  • variations saisonnières avec des hautes eaux à la fin du printemps et des basses eaux en automne. Le retard à l’alimentation peut atteindre plus de six mois et même être masqué par une vidange interannuelle. L’amplitude de ces mouvements dépend à la fois des caractéristiques hydrauliques de l’aquifère   (transmissivité   et emmagasinement  ) et de la valeur de la réalimentation annuelle (infiltration efficace). C’est ainsi qu’elle est maximale (8 à 10 m) à l’aplomb des lignes de crêtes des plateaux et minimale (1 à 2 m) dans l’axe des vallées humides
  • variations interannuelles sous forme de phases arythmiques de plusieurs années provoquant des remontées ou des descentes de nappe avec des amplitudes cumulées pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres sous les crêtes piézométriques (plateau). En aval, le phénomène peut se traduire par des émergences de la nappe en période humide ou par des déplacements ou des tarissements de sources en période sèche.

Les apports exceptionnels de 2001 et 2002 ont confirmé la réactivité de la nappe de la craie   sous les plateaux et en particulier son inertie à restituer au milieu naturel superficiel les eaux qu’elle a reçues des précipitations  .

Comparaison des graphiques d’évolution de 2 piézomètres captant la craie picarde (BRGM)

L’écoulement de la nappe captive

La nappe de la craie   devient captive sous les couches argileuses imperméables du Tertiaire ou sous les alluvions   fines et tourbeuses semi-perméables des principaux cours d’eau. La piézométrie est alors peu connue, la nappe n’étant pas exploitée.

Les principales caractéristiques hydrodynamiques de la nappe

Les données recueillies sur les paramètres hydrodynamiques des différents aquifères proviennent de la Banque de Données du Sous-Sol (BSS) et de l’ancien atlas hydrogéologique de l’Oise de 1987. Elles ont été compilées dans le cadre de l’actualisation de l’atlas hydrogéologique de l’Oise (Bault V. et al, 2012).

Transmissivité   T (m2/s)

  • En moyenne, sur le 30 premiers mètres de la zone saturée : 10-1 à 10-3
  • En plateau : 6,1.10-3 en moyenne sur 11 ouvrages
  • En vallée sèche : 1,4.10-2 en moyenne sur 6 ouvrages
  • En vallée humide : 1,3.10-2 en moyenne sur 32 ouvrages

Perméabilité K (m/s)

Aucune valeur de perméabilité de la craie   n’est disponible dans la bibliographie du fait de sa structure particulière. En effet, le taux de fracturation diminuant avec la profondeur, on considère que la formation s’imperméabilise au-delà de 30 à 50 m selon les régions. Il est donc difficile de définir avec précision la profondeur du mur de la formation aquifère   et donc d’estimer certains paramètres hydrodynamiques comme la perméabilité.

La fracturation des bancs proches de la surface permettrait à la roche d’acquérir des perméabilités les plus fortes : 10-3 à 10-2 m/s.

Coefficient d’emmagasinement  

  • En moyenne, entre 1 et 5% dans les tranches productives
  • En plateau : 0,57% en moyenne sur 7 ouvrages
  • En vallée sèche : 1,3% en moyenne sur 4 ouvrages
  • En vallée humide : 0,26% en moyenne sur 11 ouvrages

L’exploitation de la nappe de la craie  

L’exploitabilité de la nappe

La nappe de la craie   constitue la ressource en eau la plus importante de la Picardie, tant par son extension que par son degré d’exploitation. Les données de prélèvements sont disponibles via la BNPE (Banque Nationale des Prélèvements quantitatifs en Eau), banque qui collecte les volumes d’eau prélevés pour l’intégralité des usages.

La nappe libre de la craie   est sollicitée par de nombreux ouvrages domestiques, agricoles et industriels. Dans l’Oise, plus de la moitié de l’alimentation en eau potable est assurée par des captages dans la nappe de la craie  . Ceux-ci se situent préférentiellement dans les zones les plus productives, en vallées humides ou sèches. Une forte baisse de la productivité est généralement observée dans ces ouvrages au-delà de 30 à 50 m de profondeur en zone d’affleurement de la craie  . Lors de la création d’un forage  , les zones les plus productives peuvent être révélées par des profils au micromoulinet.

En régime captif, la craie   est beaucoup moins fissurée, moins productif et son exploitation est plus aléatoire. De ce fait, la productivité baisse rapidement au sud des limites d’extension des sables du Thanétien et surtout des argiles et lignites du Soissonnais, écran imperméable des eaux supérieures, sauf dans des circonstances où le captage traverse soit des plans de fractures ou de failles, soit des couches indurées et très fissurées (vallée de l’Aisne).

La productivité de la nappe

En moyenne, entre 1 et 500, selon les secteurs et avec parfois de forts contrastes entre forages voisins :

  • En plateau : 13,2 m3/h/m en moyenne sur 225 ouvrages
  • En vallée sèche : 34,3 m3/h/m en moyenne sur 81 ouvrages
  • En vallée humide : 53,1 m3/h/m en moyenne sur 271 ouvrages

Le suivi quantitatif de la ressource

Les réseaux de suivi du niveau de la nappe

Le suivi quantitatif ou piézométrique  , sur de longues périodes, permet de connaitre l’évolution du niveau des nappes, de réaliser des statistiques, de calculer des périodes de retour des niveaux les plus hauts ou les plus bas et de modéliser, le cas échéant, les fluctuations selon des scénarios prédictifs. La plus ancienne chronique sur la craie   picarde a démarré en 1965.

Le suivi est organisé selon un réseau de mesure ou réseau piézométrique, dispositif de collecte de données correspondant à un ensemble de stations de mesure servant à suivre la piézométrie en différents points d’une nappe. Les mesures acquises à un pas de temps généralement horaire, sont collectées dans la banque de données ADES au pas de temps journalier.

Dans l’Oise, le BRGM assure le suivi d’un réseau de 32 piézomètres, dont 23 suivent l’aquifère   de la craie  .

Zone de répartition des eaux

L’évaluation de la ressource disponible et l’élaboration de règles de gestion volumique sont devenues ces dernières années un enjeu important pour tous les acteurs de l’eau afin de pouvoir anticiper, dans la mesure du possible, les épisodes de sécheresse et leurs impacts sur les milieux naturels et les activités humaines.

Les efforts actuels se portent en particulier sur la gestion collective des ressources en eau qui doit permettre une gestion équilibrée et concertée en rassemblant l’ensemble des préleveurs (agricoles et non agricoles) sur une zone déterminée. La gestion collective est fortement incitée, en particulier sur les zones de répartition des eaux (ZRE) afin de rétablir l’équilibre entre les besoins en eau et les ressources disponibles.

Depuis 2009, la nappe de la craie   ainsi que la couverture aquifère   tertiaire qui alimente le bassin de l’Aronde sont classées en ZRE par arrêté 2009-1028 en date du 31 juillet 2009 du préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie et par arrêté préfectoral du 4 novembre 2009. Dans ce secteur une grande partie des prélèvements effectués sont faibles, mais leur nombre élevé crée un effet cumulatif sur la ressource qui fait l’objet d’une pénurie récurrente et ne permet pas de satisfaire tous les besoins des usagers. Selon l’arrêté préfectoral, les 41 communes concernées par la ZRE font l’objet d’un abaissement des seuils d’autorisation et de déclaration de leurs prélèvements en eau afin de mieux contrôler l’impact des pompages sur l’écosystème aquatique.

Le Syndicat Mixte Oise-Aronde (SMOA) met en œuvre le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) du bassin Oise-Aronde, afin de garantir un équilibre durable entre la protection des milieux aquatiques (rivières, zones humides, etc.) et la satisfaction des usages (alimentation en eau potable, irrigation, pêche, etc.).

Le suivi qualitatif de la ressource

Le réseaux de suivi de la qualité

Le suivi qualitatif est organisé selon des réseaux de mesure analogues à ceux du suivi piézométrique   (banque de données ADES).

Le site ADES   fédère les résultats de plusieurs réseaux de suivi de la qualité des eaux souterraines, et en particulier :

  • Les réseaux de l’AESN :
    • un réseau de contrôle de surveillance (RCS), assimilable à un réseau de connaissance patrimoniale
    • un réseau de contrôle opérationnel (RCO), assimilable à un réseau d’impact
  • Le réseau de l’ARS : contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine
  • Les réseaux de suivi imposés aux ICPE par la DREAL : le réseau d’auto-surveillance des eaux souterraines des ICPE

Ces réseaux sont décrits dans l’article du SIGES sur les réseaux de suivi qualitatif.

Des eaux bicarbonatées-calciques

En régime libre comme en régime captif, les eaux de la nappe de la craie   ont un faciès nettement bicarbonaté-calcique, avec des spécificités locales sulfatées et magnésiennes. La présence de fer et manganèse est marquée dans la partie profonde de l’entité, significative d’un milieu réducteur.

Leur dureté est forte (TH > 30°) pour un pH légèrement basique (6,9 à 7,8). Leur minéralisation est moyenne (résidu sec compris entre 300 et 600 mg/l ; résistivité de l’ordre de 1 800 à 2 000 ohms/cm à 20°C) mais celle-ci augmente généralement à l’approche du recouvrement tertiaire.

La température moyenne de la nappe évolue entre 10 et 12°C quelle que soit la période de l’année.

Un fond géochimique riche en fer, fluor et manganèse

Les étages du Sénonien et du Turonien sont formés de craie   blanche à silex, craie   argileuse à silex, craie   phosphatée puis de bancs crayeux intercalés de marnes. Ces formations renferment des nodules ferrugineux, de la glauconie, des oxydes de fer et de la marcasite (Fe, F).

Le Cénomanien est caractérisé par une craie   blanche peu phosphatée, une craie   argileuse et sableuse ainsi qu’une craie   glauconieuse. Les principaux minéraux rencontrés dans la lithologie du Cénomanien sont la glauconie dispersée, le phosphate ainsi qu’une faune phosphatée, des débris de bois pyritisé et sidéritisé (Fe, Mn, F, B) ainsi que de la tourmaline, staurotide, barytine et amphibole dans des niveaux lenticulaires (Al, Cr, Se).

La nappe de la craie   est alors susceptible de présenter un fond géochimique riche en fer, fluor, manganèse pour le Sénonien et le Turonien supérieur ainsi qu’en fluor pour le Cénomanien, provenant notamment de la dissolution d’oxydes de fer et de nodules de marcassite.

Sur l’ensemble de l’aquifère   crayeux, un fond géochimique naturel faible en baryum, bore, cuivre, fluor, sélénium et zinc a été déterminé. Les seuils de quantification pour l’arsenic et le cadmium ne permettent pas la détermination du fond géochimique. Les teneurs en nitrates ne proviendraient jamais d’un fond géochimique naturel.

Des occurrences d’autres éléments traces (nickel, plomb) sont rapportées sur le bassin Artois-Picardie, mais le contexte industrialisé de cette zone géographique rend difficile la qualification de l’origine naturelle ou anthropique de ces éléments.

La mise en solution de nickel, associée à l’oxydation de pyrites, constituerait une source potentielle de nickel pour les eaux souterraines mais le département de l’Oise ne serait pas impacté par un fond géochimique élevé en cet élément.
En régime captif ou semi-captif, le faciès des eaux devient sulfato-magnésien, caractéristique des eaux des réservoirs sableux de l’Éocène. Les teneurs en sulfates, de l’ordre de 200 mg/l, en magnésium et en potassium ont tendance à augmenter, tandis que celles des nitrates diminuent. Par contre, d’autres éléments comme le fer, le fluor, le manganèse apparaissent en liaison avec la nature lithologique des terrains sus-jacents, comme notamment les argiles ligniteuses sparnaciennes (Yprésien inférieur) constituant le toit des sables de Bracheux. Les teneurs en sodium et en fer peuvent être assez élevées. Ainsi, les teneurs en fer varient entre la limite de quantification (0,02 mg/l) et 0,6 mg/l à l’ouest de Compiègne en régime libre mais peuvent atteindre localement 2 à 3 mg/l en limite des affleurements tertiaires. Tous ces éléments peuvent ainsi rendre l’eau impropre à la consommation.

La présence de fluor dans l’aquifère   de la craie   serait générale et les eaux souterraines se chargeraient en milieu captif. Lorsque la craie   n’est pas sous couverture imperméable, la nappe présente des concentrations inférieures à 1000 μg/l en fluor. Sous recouvrement tertiaire, il existe un drainance descendante sous l’effet de pompages : le fluor provient des couches argileuses intercalées entre les deux aquifères, par échange avec des ions hydroxylés. Sous les vallées principales, le phénomène est encore plus marqué. Les analyses en fluor montrent des valeurs d’environ 2500 μg/l. Néanmoins les informations fournies par la littérature restent peu nombreuses pour appuyer une origine naturelle de cet élément. De plus il est possible que ces concentrations élevées soient attribuables localement à une origine anthropique (fabrication d’engrais phosphatés).

En zone de recouvrement alluvial (tourbe, argiles organiques), le milieu aquifère   devenant réducteur, outre le fer et le manganèse, apparaît également l’ammoniaque dont une part provient de la réduction des nitrates.

La nappe des sables et grès   du Cénomanien inférieur est exploitée sur le versant méridional de l’anticlinal du Pays de Bray, à l’ouest de Beauvais. Bien que ferrugineuses, ses eaux peuvent satisfaire les besoins de quelques communes, faute de mieux. Cependant, il n’existe que peu de données sur le fond géochimique de cet aquifère  .

Une nappe largement impactée par la pollution nitratée

En régime libre, les anomalies de la qualité ne sont pas naturelles. Elles proviennent notamment des teneurs en nitrates qui dépassent parfois les 50 mg/l dans les captages communaux et, depuis quelques années, des traces d’herbicides sont également décelées.

La nappe de la craie   est largement impactée par la pollution nitratée depuis la fin des années 1990, début 2000, notamment dans sa partie nord. Les deux substances atrazine et désetylatrazine sont analysées depuis 1998. Le nombre de mesures pour lesquelles les concentrations en atrazine et désétylatrazine sont supérieures à 0.1 µg/L est proche de la centaine.

Ces contaminations sont liées à l’activité agricole intense, au désherbage des voies de communication (routes, voies ferrées) et aux mauvais assainissements ruraux persistants.

La protection naturelle limoneuse ne suffit pas pour arrêter les éléments chimiques solubles épandus en surface. Seuls les secteurs forestiers ou herbagers échappent à cette pollution.

Pour en savoir plus :

Quelques références bibliographiques :

  • ALBINET M. (1967) -Piézométrie moyennes eaux de 1967 : Carte hydrogéologique du bassin de Paris au 1/500 000. Editions BRGM.
  • Bault V., Borde J., Follet R., Laurent A., Tourlière B. avec la collaboration de Leveau E. et Willefert V. (2012) – Atlas hydrogéologique numérique de l’Oise. Phase 3 : Notice. Rapport final BRGM/RP-61081-FR, 320 p., 81 ill., 55 tab., 2 ann., 1 cd-rom, 1 carte A0.
  • CHRETIEN P., FERET M.J., GUIONIE P., IZAC J., LJEGOU J.P., JOUBLIN F., KIEFER C., NAIL C., ROBELIN C. (2006) – Picardie – Nappe libre de la craie – Campagne et carte piézométriques « basses eaux » 2005. Rapport final BRGM/RP-54285-FR, 63 pages, 7 annexes.
  • CHRETIEN P., SALLIER V. (2007) – Picardie. Nappe de la craie. Cartes piézométriques hautes eaux 2001-2002 et moyennes eaux 1960-2007. Rapport final BRGM/RP-55971-FR, 72 pages, 6 illustrations, 2 annexes.
  • ROUX J.C. et al. (2006) - Aquifères et eaux souterraines en France. Ouvrage collectif publié aux Editions BRGM.

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