Etude du transfert des nitrates dans la zone non saturée et dans les eaux souterraines des aires d’alimentation de captage en Hauts-de-France (ex-Picardie)

L’évaluation de l’impact des changements de pratiques agricoles sur la qualité des eaux reste une question majeure. Les nappes et notamment la nappe de la Craie  , aquifère   majeur en Hauts-de-France (ex-Picardie), présentent une inertie pouvant être importante. L’amélioration de la qualité des eaux souterraines peut donc, dans certains cas, être largement différée par rapport à l’instauration de pratiques agroenvironnementales.

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Mieux comprendre les transferts d’eau et de nitrate

L’évaluation de l’impact des changements de pratiques agricoles sur la qualité des eaux reste une question majeure. Les nappes et notamment la nappe de la Craie  , aquifère   majeur en Picardie, présentent une inertie pouvant être importante. L’amélioration de la qualité des eaux souterraines peut donc, dans certains cas, être largement différée par rapport à l’instauration de nouvelles pratiques. Les objectifs de cette étude réalisée en partenariat entre les organisations professionnelles et un organisme de recherche sont d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes :

  • A quelle échéance, les changements de pratiques auront un effet notable sur la qualité des eaux souterraines ?
  • Quelle sera l’ampleur de cet effet ?
  • Quelle est l’origine des nitrates présents dans la nappe ?
    Pour répondre à ces objectifs, plusieurs approches complémentaires ont été mises en œuvre à deux échelles de travail. A l’échelle de 3 parcelles agricoles (nommées H, L, M) disposant d’un marqueur cultural (changement majeur de pratiques dans la fertilisation comme un retournement de prairie ou d’une mise en jachère), des carottages ont été réalisés (figure A). Ils doivent permettre d’une part d’évaluer le stock de nitrates présent dans la zone non saturée (c’est-à-dire la zone située entre la surface du sol et le sous-sol jusqu’à la nappe) et d’estimer leur vitesse de transfert. A l’échelle des Aires d’Alimentation de Captages (AAC), l’application d’outils de datation conduit à l’estimation d’un âge moyen de l’eau dans la nappe alors que les outils isotopiques permettent de déterminer l’origine des nitrates.
Figure A : Carte des AAC (à gauche Landifay-et-Bertaignemont,à droite Morgny-en-Thiérache) et emplacement des parcelles H, L, M (Surdyk N. et al., 2014)

Des changements de pratiques visibles

Les carottages réalisés dans les 3 parcelles ont permis d’établir des profils c’est-à-dire d’estimer les concentrations en azote présentes sur les matériaux collectés à différentes profondeurs. Les concentrations fluctuent sur ces profils en réponse aux pratiques agricoles variables selon les années mais aussi de la pluviométrie. L’évolution du stock d’azote cumulé sur la profondeur montre des ruptures de pente pour les parcelles M (parcelle du BAC de Morgny) et H (parcelle du BAC de Landifay)(figure B). La réduction du stock dans les premiers mètres résulte probablement de l’amélioration des pratiques agricoles lors des années récentes. Les fuites de nitrate vers la nappe sont moins importantes qu’historiquement. Elles sont toutefois supérieures à celles observées dans une parcelle sans fertilisation (terrain de football) qui a servi de référence. Malgré l’absence de fertilisation dans cette parcelle de référence, la minéralisation de la matière organique dans l’horizon de sol superficiel conduit à des fuites limitées en azote. Par comparaison avec cette parcelle de référence, l’impact de la conduite des cultures est clairement mis en évidence.

Le stock d’azote présent dans la zone non saturée se déplace progressivement jusqu’à atteindre la nappe. Il va donc avoir un effet sur la qualité des eaux souterraines, pour une durée qui est dépendante de sa vitesse de migration.

Figure B : Evolution du stock d’azote cumulé sur la profondeur (Surdyk N. et al., 2014)

Peut-on estimer la durée nécessaire aux nitrates pour atteindre la nappe ?

Dans la parcelle H, les faibles concentrations en azote mesurées à la base du profil (au-delà de 14 m de profondeur) correspondent très probablement aux années pendant laquelle la parcelle était une prairie, prairie qui a été retournée en 1990 (figure C). La vitesse moyenne de transfert de nitrate à travers la craie   est donc estimée à 0,54 m/an.

Pour les parcelles M (retournement de prairie en 1994) et L (retournement de jachère en 2007), le marqueur cultural n’a pas été retrouvé sur le profil. Dans la parcelle L, une vitesse minimale de 1,45 m/an a alors été calculée (les faibles teneurs en nitrate correspondant à la jachère sont plus bas que les 6 mètres du carottage. En revanche, pour la parcelle M, le profil assez court et le manque de lien précis entre les mesures et la fertilisation n’ont pas permis l’estimation de cette vitesse.
Afin de valider l’estimation de la vitesse moyenne de transfert, une balance post-récolte a été estimée pour chacune des 2 parcelles et comparée au profil mesuré (figure C). Pour la parcelle H, le profil de concentrations mesurées et le profil décrit par cette balance présentent des évolutions similaires, validant ainsi l’estimation. Pour la parcelle L, le profil étant court et avec une succession culturale moins variée, la validation est plus délicate.

Compte-tenu de l’épaisseur de la zone non saturée (plusieurs dizaines de mètres localement) et des faibles vitesses estimées, les actions menées en surface auront un impact très retardé sur la qualité de la nappe. Ainsi, pour les parcelles H et L, l’impact des pratiques actuelles ne seront visibles qu’approximativement dans 55 et 20 ans, respectivement.

Cette estimation repose sur l’hypothèse forte que le transfert des nitrates est supposé ne s’effectuer qu’au sein de la matrice crayeuse (via la porosité  ). Or le concept de double perméabilité de la craie   est largement reconnu par la communauté scientifique. Ainsi, si une partie de l’eau peut migrer lentement au sein de la matrice, une partie de l’eau et des nitrates qu’elle transporte peut atteindre beaucoup plus rapidement la nappe, via les fractures par exemple. L’importance de ce 2e type de circulation, qui se surimpose au transfert matriciel, reste une question scientifique majeure à laquelle l’étude réalisée ne peut répondre.

Figure C1 : Profil d’azote en fonction de la profondeur en comparaison avec les pratiques sur les parcelles (Surdyk N. et al., 2014)


Figure C2 : Profil d’azote en fonction de la profondeur en comparaison avec les pratiques sur les parcelles (Surdyk N. et al., 2014)

Quelle est l’inertie de la nappe ?

Après le transfert dans la zone non saturée, le nitrate atteint la nappe (zone saturée). Le temps de transfert au sein de la zone saturée correspond au temps nécessaire pour aller de l’endroit où le nitrate atteint la nappe et le point où l’eau est prélevée. S’il n’est pas possible de déterminer le temps de transfert des nitrates au sens strict, en revanche des outils dits de datation (utilisation des gaz fréons dans le cas présent), permettent d’estimer ce temps pour l’eau. Pour les AAC dans lesquelles se trouvent les parcelles L et M, le schéma conceptuel de transfert dans la nappe apparait différent. Cette différence pourrait être liée à une nature différente du matériau crayeux.

Sur l’AAC de Landifay-et-Bertaignemont, le modèle de transfert des eaux est un modèle exponentiel. Au niveau du captage, des gouttes d’eau d’âges différents se mélangent suivant la longueur de leurs trajectoires (figure D). Autrement dit, l’eau prélevée aujourd’hui est un mélange d’eaux anciennes et d’eaux plus récentes. Le temps de résidence dans la nappe résultant de ces mélanges est d’environ 20-25 ans. Ainsi même si à proximité du forage  , le temps de transfert est de quelques années, du fait du mélange avec des eaux plus anciennes provenant de l’amont du bassin, l’eau prélevée sera le reflet de pratiques anciennes.

Sur l’AAC de Morgny-en-Thiérache, le modèle de transfert des eaux est un modèle de type piston. Schématiquement chaque année, l’eau qui s’infiltre « pousse » l’eau déjà présente dans la nappe, sans mélange. La date moyenne de recharge correspond aux années 2000-2005. Les changements de pratiques agricoles actuels pourront donc être perceptibles après environ une décennie.

Figure D : Modèle de transfert de l’eau (Surdyk N. et al., 2014)

Origine des nitrates

Pour retrouver l’origine des nitrates, les analyses isotopiques de l’oxygène et de l’azote contenus dans les nitrates constituent un outil ayant fait ses preuves. Dans les cas favorables, il est ainsi possible de caractériser la ou les sources de nitrates présents dans la nappe : engrais minéraux, azote organique, eaux usées etc.
Cette technique a été appliquée sur des échantillons d’eaux souterraines provenant de 7 forages localisés dans la même AAC (Landifay-et-Bertaignemont). Il apparaît ainsi clairement que les nitrates n’ont pas une origine « eau usée ». Les nitrates ont pour origine les engrais minéraux et les engrais organiques, avec un ratio entre les 2 sources variable suivant les forages.

Conclusion

Sur l’AAC de Landifay-et-Bertaignemont, les nitrates présents dans la nappe ont pour origine les engrais minéraux et organiques. Compte-tenu d’un transfert de plusieurs décennies depuis le sol jusqu’à la nappe et d’un temps de résidence dans la nappe d’environ 20-25 ans, les pratiques agricoles actuelles ne se remarqueront sur la qualité de la nappe que dans plusieurs décennies.
Les profils réalisés dans 2 autres parcelles agricoles permettent de caractériser le stock de nitrate en cours de migration – relativement lente - vers la nappe. Les datations effectuées sur une 2e AAC montrent également que le temps de transfert dans la nappe est de l’ordre de la décennie.

Pour aller plus loin :

Bibliographie

  • Surdyk N., Gourcy L., Baran N., Picot J. (2014) – Etude du transfert des nitrates dans la zone non saturée et dans les eaux souterraines des aires d’alimentation de captage en Picardie, bassin Seine Normandie Rapport provisoire. RP-63714-FR, 114 p.,77 ill., 1 ann.

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