Sédimentologie, stratigraphie et géométrie de la craie du Bassin Parisien

La Craie   est un dépôt caractéristique de l’Europe du nord durant le Crétacé supérieur (période qui doit son nom à cette roche sédimentaire). Les travaux de E. Lasseur, synthétisés ici, s’attachent à étudier les formations crayeuses du Bassin Parisien. Un modèle de faciès est d’abord proposé, considérant des environnements de dépôt très variés ; ensuite les méthodes de la stratigraphie   séquentielle sont appliquées à ces faciès. Les résultats obtenus apportent des éléments pour effectuer des corrélations à l’échelle de l’affleurement et du Bassin Parisien, afin de contraindre la géométrie 3D et la paléogéographie de celui-ci. Ceci permet enfin de discuter des différents paramètres ayant contrôlé la sédimentation de la craie   (tectonique, eustatisme).

Cadre géologique et état des connaissances sur la craie  

La craie   peut se définir comme un sédiment constitué en grande partie de fragments de squelettes de Coccolithophoridae, nanoplanctons calcaires monocellulaires. Sa teneur en éléments terrigènes est souvent très faible. Des minéraux de type glauconie ou phosphate peuvent figurer dans la matrice crayeuse, ou exister au sein de surfaces plus condensées. L’argile   peut figurer en lits individualisés ou dans la matrice crayeuse. Elle est fréquente au Cénomanien et au Turonien, mais devient plus rare dans les sédiments plus récents. Le microfaciès le plus fréquent est une biomicrite à texture wackestone, localement caractérisée par une charge particulière en bioclastes ou microfossiles.

La synthèse d’études sur la sédimentologie de la craie   fournit les éléments suivants, qui ont servi de base aux réflexions menées sur le dépôt de la craie   :

  • Les milieux de dépôt de la craie   peuvent être nombreux. En effet, même si le mécanisme généralement évoqué pour le dépôt de la craie   est une simple décantation des particules calcaires secrétées par le nanoplancton, l’existence de certains faciès grossiers ou de type tuffeau montrent une importante variété dans les milieux de dépôts existant.
  • Les surfaces d’arrêt de sédimentation correspondent généralement à une augmentation du régime hydrodynamique.
  • L’étude de Mettraux et al. (1999) montre que la cyclicité observée dans la craie   peut être utilisée pour caractériser les milieux de dépôt. Ceci forme une base majeure dans l’étude de la craie  .

Les formations crayeuses du Bassin Parisien se sont déposées au Crétacé supérieur. Les événements tectoniques susceptibles d’avoir affecté ces dépôts sont les suivants :

  • L’ouverture de l’Atlantique nord et du golfe de Gascogne en particulier. Cette ouverture est susceptible d’être la contrainte principale affectant le Bassin Parisien durant le Cénomanien et possiblement une grande partie du Turonien ;
  • L’évolution de la géodynamique de l’Europe de l’ouest vers un régime compressif à partir du Turonien supérieur – Coniacien.

Les auteurs étudiés par E. Lasseur dans sa bibliographie s’accordent pour identifier deux phases de haut niveau marin durant les intervalles Cénomanien-Turonien et Campanien, séparées par une phase de niveau plus bas durant le Turonien supérieur – Coniacien inférieur.

Sédimentologie de la craie  

En France, la caractérisation des formations de la craie   se fait généralement de manière biostratigraphique (selon la présence d’indices biologiques). La particularité des travaux de E. Lasseur est l’approche sédimentologique de la craie  . Un modèle de faciès de la craie   du Bassin Parisien, depuis des environnements de dépôt très proximaux jusqu’à des environnements profonds d’offshore inférieur est donc présenté. Ce modèle s’appuie sur trois régions du bassin correspondant à trois zones paléogéographiques précises : le sud-ouest du Bassin Parisien (contexte proximal), la Normandie (contexte intermédiaire), et le centre du bassin (contexte distal).

Afin de mettre en place un modèle de faciès et d’appréhender une étude de sédimentologie de faciès et de stratigraphie   séquentielle de la craie   du Bassin Parisien, une méthodologie précise a été appliquée sur un site haut-normand. Celle-ci s’appuie sur des critères particuliers comme la teneur en éléments de type coquilles et les surfaces d’érosion. La définition des faciès crayeux proposée ici est basée sur la caractérisation de différents cycles de dépôt d’échelle métrique. La méthodologie appliquée est la suivante :

  • Définition de différentes classes de teneur en coquilles (6 classes ont été définies) ;
  • Etude des différents faciès de dépôt crayeux et des surfaces d’érosion ;
  • Caractérisation des processus de dépôt menant aux teneurs en coquilles, faciès et surfaces d’érosion observées ;
  • Définition des différents cycles d’échelle métrique et classement de ceux-ci sur un profil de profondeur (profil proximo-distal).

Les figures 1 à 3 présentent les différents cycles de dépôt-érosion retenus. Le profil de profondeurs a été vérifié grâce à la paléoécologie des échinoïdes (oursins) ainsi que par corrélation basée sur les principes de la stratigraphie   séquentielle et évènementielle avec un site distant de 50 km. Il est à noter que le site d’étude haut-normand correspond à des milieux de dépôt intermédiaires, c’est pourquoi le modèle de faciès a été complété en ses extrémités par deux autres sites : le sud-ouest du Bassin Parisien (contexte proximal) et le centre du bassin (contexte distal).

Figure 1 : Différents types de cycles de dépôt-érosion du Cénomanien (Lasseur, 2007)


Figure 2 : Différents types de cycles de dépôt-érosion du Cénomanien supérieur au Turonien inférieur (Lasseur, 2007)


Figure 3 : Différents types de cycles de dépôt-érosion du Turonien moyen au Coniacien moyen (Lasseur, 2007)

Le travail de E. Lasseur souligne également l’importance des surfaces d’arrêt de sédimentation (hardgrounds en anglais). En effet, ceux-ci sont caractéristiques des séries crayeuses en mer du Nord comme dans le Bassin Parisien et constituent leur organisation bien connue en cycles sédimentaires. La caractérisation de ces surfaces est d’ailleurs un des éléments utiles à la réalisation du modèle de faciès proposé ici. Enfin, les hardgrounds constituent aujourd’hui des structures sédimentaires importantes en termes d’écoulement souterrain et de circulation de polluants. En effet, ces surfaces indurées représentent souvent des barrières à l’écoulement et donc des plans de circulation préférentiels.

Stratigraphie   séquentielle et géométrie du Crétacé supérieur du Bassin Parisien

La définition d’un modèle de faciès pour la craie   haut-normande fournit un outil utile au découpage séquentiel du crétacé supérieur, que ce soit par lithostratigraphie, stratigraphie   évènementielle ou biostratigraphie. De plus, ce modèle permet d’effectuer des corrélations à l’échelle du Bassin Parisien afin de contraindre la géométrie des différents dépôts crayeux.

Pour la partie normande du bassin, une lithostratigraphie a déjà été définie pour le Cénomanien et le Turonien (Juignet, 1974 ; Juignet et Breton, 1992). E. Lasseur propose donc une lithostratigraphie post-Turonien, ainsi qu’une mise en équivalence avec la lithostratigraphie anglaise existante. Ces stratigraphies sont représentées en Figure 4.

Figure 4 : Coupe regroupant les logs St Jouin- Tilleul et Fécamp-Cap d’Ailly (Lasseur, 2007)

Le modèle de faciès réalisé, couplé à la mise en relation de plusieurs coupes et diagraphies, permet d’établir la géométrie des dépôts crayeux du bassin. La Figure 5 illustre ce travail pour le transect vallée de la Seine – vallée de la Somme pour l’intervalle Cénomanien – Turonien moyen.

Figure 5 : Transect Vallée de la Seine-Vallée de la Somme, pour l’intervalle Cénomanien-Turonien moyen (Lasseur E., 2007)

Géométries de la craie   et interprétations

L’étude à l’affleurement des dépôts crayeux permet de décrire synthétiquement les géométries observées à l’échelle du corps sédimentaire au sein du Crétacé supérieur du Bassin Parisien. Les principales observations sont les suivantes :

  • Au-dessus de la limite Coniacien supérieur – moyen, omniprésence de géométries en ondulations et augmentation de la longueur d’onde (d’hectométrique à plurikilométrique) correspondant à une baisse de l’hydrodynamisme et une augmentation de la paléobathymétrie ;
  • Un fonctionnement de ces géométries selon les mêmes principes et ce bien que l’intensité de l’hydrodynamisme varie selon les géométries considérées. Les géométries sont caractérisées systématiquement par une logique de construction de topographie puis compensation.
  • Une distribution de ces géométries depuis des environnements d’offshore supérieur jusqu’à l’offshore inférieur.
  • Une morphologie récurrente en mégarides géantes qui montre une analogie avec des « sediment waves ».
  • L’existence de courants unidirectionnels, parallèles à ces géométries, qui jouent un rôle prédominant dans leur construction.
  • Une construction progressive de ces géométries sous l’action de courant perdurant pendant toute l’évolution de ces géométries.
  • L’intégration des phases de variations de géométrie dans un cadre séquentiel, ces géométries montrant leur phase de construction pendant des phases régressives et leur remplissage durant les phases transgressives.
  • Une durée de mise en place possiblement très importante atteignant 500 000 ans et plus, et correspondant dans plusieurs cas, aux séquences de troisième ordre de l’évolution du Bassin Parisien.

Ces géométries ondulatoires ont donc été interprétées par E. Lasseur, de même que Quine et Bosence (1991), comme des structures érosives mises en place par des courants profonds dans un cadre séquentiel (régression – transgression). La littérature suggère d’ailleurs qu’une circulation océanique importante se met en place en Europe de l’ouest à partir du Coniacien et est accompagnée d’une dynamique d’upwelling.

A l’échelle du Bassin Parisien, l’ensemble des données d’affleurement et de subsurface sont utilisées pour contraindre les géométries et la paléogéographie du Bassin Parisien au Crétacé supérieur. Les modèles de faciès proposés permettent de proposer une paléobathymétrie pour chacun des faciès observés. De plus, neufs transects principaux ont été étudiés, sur lesquels 42 lignes-temps ont été identifiées et corrélées entre l’Albien et le Campanien supérieur. Ces éléments permettent d’évaluer la paléogéographie du bassin et d’établir des cartes d’isopaques de la craie  . Ces observations permettent de reconstituer les grands évènements tectoniques et eustatiques du Bassin Parisien. L’histoire du bassin au Crétacé supérieur peut se diviser en deux périodes très différentes :

  • Cénomanien – Turonien moyen : Le bassin se structure selon une direction NW-SE, la surrection du bassin prend fin et se voit remplacée par un régime de subsidence   affectant surtout la partie sud-est du bassin. Cette subsidence   est associée à une importante transgression. Ces phénomènes ont pour conséquence l’arrêt des apports terrigènes sur le bassin.
  • Turonien supérieur – Campanien : Le Bassin Parisien est affecté par une flexuration de grande longueur d’onde (>300 km). Les marges nord et sud-est sont caractérisées par une surrection relative qui perdure jusqu’au Campanien. La zone en subsidence   se situe dans le centre du bassin au Turonien supérieur, puis se déplace vers le sud-est à partir du Coniacien supérieur, la direction de contrainte NW-SE devenant probablement prédominante.

Bibliographie

  • Juignet P., 1974 : La transgression crétacée sur la bordure orientale du Masif armoricain : Aptien, Albien, Cénomanien., Université de Caen, 806p. pp.
  • Juignet P., Breton G., 1992 : Mid-cretaceous sequence stratigraphy and sedimentary cyclicity in the western Paris Basin. Palaeogeography , palaeoclimatology, palaeoecology, 91 : pp. 197-218.
  • Lasseur E., 2007 : La Craie du Bassin de Paris (Cénomanien-Campanien, Crétacé supérieur). Sédimentologie de faciès, stratigraphie séquentielle et géométrie 3D. : https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/350422/filename/PL02113.pdf
  • Mettraux M., Homewood P., Schwab A., Guillocheau F., 1999 : Sedimentology and accomodation cycles of paris basin campanian chalk : The key to high-resolution stratigraphy and seismic signature. In : Advances in carbonate sequence stratigraphy : application to reservoirs,outcrop and models (Ed S.S.f.S. Geology)), 63, pp. 317-334. SEPM, Tulsa.
  • Quine M., Bosence D., 1991 : Stratal geometries, facies and sea-floor erosion in Upper Cretaceous Chalk, Normandy, France. Sedimentology, 38 : 1113- 1152.

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