Du sélénium dans les eaux souterraines du bassin Seine-Normandie
La présence dans les eaux souterraines de sélénium à des concentrations dépassant les normes de potabilité est un problème qui se pose dans plusieurs secteurs de l’est et du sud du Bassin Parisien. Une origine naturelle est invoquée pour expliquer des concentrations en sélénium dans les eaux supérieures à 10 μg.l-1 (l’arrêté du 11 janvier 2007 basé sur la directive 98/83/CE définit la limite de 10 μg.l-1 pour le sélénium dans les eaux destinées à la consommation).
Les nombreux dosages de sélénium réalisés par les ARS, compagnies de distribution des eaux et l’Agence de l’eau Seine-Normandie (DDASS, 77, 1997 ; DDASS 91, 1997 ; Chabart et al., 2006 ; Damien, 2006) au cours de ces dernières années et des travaux récents sur le fond géochimique naturel (Brenot et al., 2007) soulignent l’importance régional de ce problème.
Les causes possibles de la présence de sélénium sont multiples, et compte tenu de l’emploi de cet élément dans l’industrie ou en agriculture, plusieurs éventualités peuvent être envisagées : une source hospitalière, une origine industrielle, une conséquence de l’épandage de boues de stations d’épuration (ADEME, 1995), une origine agricole par l’utilisation d’engrais séléniés ou une origine naturelle. Dans les écosystèmes terrestres, le sélénium peut être présent sous différents degrés d’oxydation : séléniure (-II), sélénium élémentaire (0), sélénite (+IV) et séléniate (+VI). Dans les sols et roches, les oxyanions Se (+IV) et Se (+VI) sont prédominants. Dans les eaux, le séléniate est présent en milieu aérobie alors que le sélénite est plus abondant en milieu réducteur (aquifère captif par exemple).
Des études préliminaires ont été réalisées pour tenter de déterminer l’origine des fortes concentrations observées dans les eaux des aquifères du Bassin Parisien (Vernoux et al., 1998 ; Robaux, 2004 ; Damien, 2006 ; Chabart et al., 2006). Ces premières études indiquent que le sélénium mesuré dans les eaux souterraines est majoritairement d’origine naturelle.
Des données disponibles confirment que les fortes teneurs touchent divers aquifères et même certaines eaux de surface sur le bassin Seine -Normandie. Le phénomène initialement observé dans les eaux souterraines de l’Essonne et la Seine-et-Marne existe également dans le Loiret, l’Eure-et-Loir et la Marne . Une corrélation semble s’établir entre ces anomalies et les niveaux géologiques concernés, avec des phénomènes de drainance (échanges verticaux de haut en bas ou vice-versa) possibles entre aquifères. Des concentrations élevées (proches de 10 μg.l-1) en sélénium ont également été mesurées dans les eaux de surface, notamment dans la rivière Essonne.
Afin de lever les verrous de la connaissance sur la variabilité et tendances des concentrations en sélénium dans les eaux souterraines, la priorité est la détermination de l’origine du sélénium et l’évaluation de l’importance des processus hydrogéochimiques sur la variabilité spatiale et temporelle de cet élément dans les eaux.
Etude de l’origine du sélénium et compréhension des processus dans les eaux du bassin Seine-Normandie
Ainsi, l’Agence de l’eau Seine-Normandie et le BRGM ont financé un projet de recherche et développement également soutenu par le Conseil Général de l’Essonne entre 2008 et 2011 afin de démontrer un fond géochimique naturel pour cet élément sur le bassin et comprendre les variations spatiales et temporelles des concentrations dans les eaux souterraines.
Objectifs de l’étude
Les objectifs étaient : i) définir avec précision l’origine du sélénium dans les captages et sources du Bassin Parisien, ii) mettre en évidence les processus et mécanismes à l’origine de ces fortes teneurs, iii) définir l’impact des eaux souterraines sur les eaux de surface, iv) replacer les résultats acquis dans le contexte géologique régional et v) proposer des modes de gestion des captages AEP afin de minimiser les problèmes liés aux fortes concentrations en sélénium dans les eaux souterraines.
Réalisation de l’étude
L’étude a consisté en la réalisation de :
- Synthèse des connaissances sur la biogéochimie du sélénium et de la géochimie appliquée au sélénium
- Réalisation de prélèvements et d’analyse d’eau souterraine, d’eau superficielle et de roche : 19 points d’eau souterraine ont été sélectionné, complété par 5 points dans l’Essonne (financement complémentaire de la part du Conseil Général de l’Essonne), 3 points d’eau de surface (Marne à Oeuilly (51), L’Aubetin à Beautheil (77), L’Essonne à Gironville-sur-Essonne (91) et 10 prélèvements de roches (prélèvements réalisés lors de forages à Fôret-Sainte-Croix (91), Itteville (91), et Montreuil-sur-Epte (95), dans une carrière à Châlautre-la-Petite (77), à Montpothier (10), dans la sablière du Mont Berru (51), et dans le village de Mareuil-les-Meaux (77)).
- Deux campagnes de prélèvements des eaux souterraines et superficielles ont été menées en hautes eaux (avril 2009) et basses eaux (octobre 2009). Les analyses ont porté sur : les ions inorganiques dissous, Ca, Mg, K, Na, HCO3, CO3, Cl, SO4, NO3, NH4, NO2,Mn, PO4, B, Ba, F, Fe, Li, Pb, Se total, SiO2, Sr et U ; les teneurs en sélénium avec spéciation Se(IV) et Se(VI), le carbone organique dissous (COD) et carbone organique total (COT), les isotopes stables δ2H et δ18O de l’eau, δ34 S et δ18O des sulfates, les concentrations en CFC-11, CFC-12, CFC-113.
- Un suivi mensuel de la qualité chimique, isotopique et des gaz dissous a été réalisé sur la période avril 2009 - mars 2010. Les stations sélectionnées pour ce suivi sont les trois rivières et les stations en bordure de rivière Beautheil F2 (77), , Oeuilly (51) et Gironville-sur-Essonne (91). A ces points s’ajoute les stations de Morainville (28), Courdimanche-sur-Essonne (91), Champmotteux (91) et Marsainvilliers (45). Le programme analytique pour ce suivi inclut les ions inorganiques dissous, Ca, Mg, K, Na, HCO3, CO3, Cl, SO4, NO3, NH4, NO2, Mn, PO4, B, Ba, F, Fe, Li, Pb, Se total, SiO2, Sr et U, le COT, Se(IV) et Se(VI), les isotopes stables de la molécule d’eau et la datation par analyse des CFC-11, CFC-12 et CFC-113. Lors de la campagne de juillet 2009 une analyse des terres rares (La, Ce, Pr, Nd, Sm, Eu, Gd, Tb, Dy, Ho, Er, Tm, Yb, Lu) a été ajoutée au programme de mesure.
Conclusions
Le traitement de l’ensemble des données permet d’établir des zones géographiques homogènes en termes d‟origine du sélénium dans les eaux et de mécanismes d’enrichissement. On propose 7 secteurs géographiques :
- Pour le Clermontois le niveau riche en sélénium est le Thanétien.
- Dans l’Hurepoix (Eure) les niveaux enrichis en sélénium sont la molasse du Gâtinais et le toit des sables de Fontainebleau.
- Dans l’Hurepoix en Essonne, le sélénium semble majoritairement venir des niveaux du Ludien avec toutefois une possibilité d’enrichissement des sables de Fontainebleau.
- En Grande Beauce c’est la molasse du Gâtinais qui permettrait un fort enrichissement des eaux souterraines en sélénium.
- Dans la Brie les fortes concentrations en sélénium sont liées à la présence de l’Infraludien. Ainsi, sur la partie est de ce secteur, là où l’Infraludien est absent, on ne note aucun forage riche en sélénium.
Sur ces secteurs le captage inclut le niveau géologique riche en sélénium ou, plus fréquemment, l’exploitation entraîne une baisse du niveau dynamique et un dénoyage des formations riches en sélénium. Par oxydation, le sélénium est alors mis en solution sous forme de séléniate. Sur deux autres secteurs, la Montagne de Reims et Provins ce sont les niveaux de l’Yprésien qui permettent un enrichissement des eaux (argiles, sables de Cuise, sables ligniteux…). Les eaux circulent sur les niveaux riches en matière organique et forment des sources qui ensuite peuvent se réinfiltrer dans la craie . L’utilisation d’amendements issus de ces formations de l’Yprésien peut aussi être directement responsable d’un enrichissement des eaux de la craie .