Sommaire de l’article :
- Les caractéristiques géométriques et géologiques
- Les caractéristiques hydrogéologiques et hydrodynamiques
- Le suivi quantitatif de la ressource
- Le suivi qualitatif de la ressource
- L’exploitation des eaux souterraines
- La vulnérabilité de la Craie Normande
Les caractéristiques géométriques et géologiques
Les formations géologiques constituant cet aquifère sont les craies du Sénonien, Turonien et Cénomanien (du plus récent au plus ancien). La série stratigraphique appartient au système du Crétacé Supérieur et elle présente les trois faciès suivants : craie blanche riche en silex du Sénonien, craie marneuse du Turonien inférieur, et craie du Cénomanien glauconieuse, sablo-argileuse à la base puis blanche sur le reste de la formation. Leur répartition à l’affleurement a été cartographiée par Quesnel F.,1997.
Cette série, formée par une puissante assise crayeuse (> 100 mètres), repose sur les formations de l’Albien (Crétacé Inférieur : Sables verts, Argiles du Gault et Gaize affleurant dans le Pays de Bray).
Cette série crayeuse affleure très largement sur le territoire sauf au niveau de la boutonnière du Pays de Bray.
Elle est recouverte par une formation résiduelle à Silex, produit de décalcification de la craie (altération lors de ses phases d’exondation), et par des sables Paléocène.
Les principaux accidents structuraux qui affectent le sous-sol crayeux sont : l’anticlinal de Bray, la faille de la Seine NW-SE (évènement important et ancien à l’échelle du Bassin Parisien), la faille de Lillebonne à Fécamp, l’anticlinal de Bourgtheroulde et son compartiment axial effondré, et la faille de Pont-Authou à Cormeilles.
Les assises du Vexin sont affectées par de nombreuses ondulations anticlinales et synclinales qui se prolongent vers le Nord-Ouest et provoquent une certaine fissuration du milieu.
Ces accidents tectoniques sont orientés selon la direction Armoricaine (NNW-SSE ou NW-SE). Les structures plissées témoignent du rejet de vieilles structures hercyniennes depuis la fin du Crétacé jusqu’au Quaternaire.
Les caractéristiques hydrogéologiques et hydrodynamiques
Sur le plan hydrogéologique, la craie a une faible perméabilité intrinsèque. Elle ne contient de l’eau mobilisable que lorsqu’elle est fracturée, condition rencontrée le long des failles géologiques et sur les bombements anticlinaux, ou lorsqu’elle est altérée sous les plaines alluviales des grands cours d’eau.
Un aquifère caractérisé par une triple porosité
L’aquifère de la craie de l’ouest du Bassin Parisien est caractérisé par l’existence d’une triple porosité (une porosité de matrice, de fracture et de conduits) telle que décrite ci-dessous :
- la porosité matricielle inter-granulaire a une fonction capacitive conséquente de 15 à 45% selon les horizons lithologiques et les auteurs. Cependant la porosité efficace reste faible, les valeurs de conductivité hydraulique ou perméabilité sont de l’ordre de 10-8 à 10-6 m/s, les coefficients d’emmagasinement de 5 à 10% et les transmissivités inférieures ou égales à 1.10-5 m2/s. Ces valeurs conduisent à des vitesses de transport dans le milieu souterrain de l’ordre du mètre par an
- la porosité de fracture, selon l’importance de la fracturation et des processus de dissolution qui peuvent les affecter, conduit à des perméabilités de l’ordre de 10-4 m/s à 10-6 m/s (et des transmissivités jusqu’à 3 ou 4.10-2 m2/s) soit des vitesses de transfert de l’ordre de quelques mètres par mois.
Cette porosité est associée à la fonction de stockage temporaire dans les formations superficielles ; elle pourrait expliquer le retard de la recharge de l’aquifère comme l’atteste les variations piézométriques au cours d’un cycle hydrologique. Cette porosité peut ainsi jouer un rôle dans la fonction capacitive de l’aquifère , mais exerce surtout un rôle primordial dans la fonction transmissive de l’aquifère et dans l’organisation des gradients hydrauliques
- la porosité de conduits karstiques peut, localement (selon des connexions actives avec les bétoires), assurer des vitesses de transfert (depuis un point d’infiltration préférentiel à l’exutoire du système karstique) pouvant atteindre et dépasser 100 m/h. Les pseudo-perméabilités associées sont de l’ordre de 10-1 m/s à 10-3 m/s. La porosité de conduits n’a qu’un rôle transmissif dans les transferts rapides. Ce rôle reste en partie contrôlé par les gradients hydrauliques hérités de la porosité de fracture et le contexte structural régional. Son importance et les vitesses de transfert qui en découlent exercent aussi un rôle primordial sur la vulnérabilité des ressources exploitées.
Une des particularités de la craie de l’ouest du Bassin Parisien est son intense karstification.
Le karst génère en surface des effondrements naturels (les bétoires) qui constituent des points d’engouffrement des eaux superficielles vers la nappe phréatique de la craie , sans filtration naturelle par le sol. Une base de données des bétoires et traçages a été mise en place en 2012 en Haute-Normandie. Plus de 9400 bétoires étaient recensées en Haute Normandie en 2014 . Les données de cet inventaire sont consultables et téléchargeables sur le SIGES dans l’article concernant les karst.
- Carte de répartition des bétoires en Haute Normandie - Etat de la bancarisation au 02 Aout 2012 (©BRGM)
Teneur en silex (en %) | Teneur en insolubles fins (en %) | Porosité (en %) | Perméabilité (en mDarcy) | Densité | |
---|---|---|---|---|---|
Cénomanien | 0.5 à 20 | 7 à 50 | 15.4 à 41.3 | 0.1 à 13.1 | 1.6 à 2.1 |
Turonien | 0 à 5 | 3 à 9.1 | 26.3 à 47 | 0.1 à 4.1 | 1.7 à 2.1 |
Coniacien | 8 à 13.5 | 0.5 à 4 | 22.6 à 38.3 | 1.1 à 2.6 | 1.6 à 1.7 |
Santonien | 10 à 16 | 0.3 à 2.8 | 40.2 à 45.6 | 3.5 à 5.6 | 1.6 à 1.8 |
Campanien | 2.3 à 4.2 | 43.4 à 45 | 3.8 à 6.5 |
En règle générale la fissuration affecte les horizons superficiels. En plateau dans la zone non saturée, son épaisseur ne dépasse pas quelques mètres sous le contact formation résiduelle à silex/craie . En vallée sèche, elle réside dans les premiers 20m sous la surface de la nappe. En vallée humide les épaisseurs de craie fissurée s’accroissent pour atteindre dans la vallée de Seine des valeurs de 50 m si ce n’est parfois plus.
- Caractéristiques hydrodynamiques de l’aquifère crayeux dans la vallée de la Seine (JC.-Roux et Al.2005)
Les productivités sont de l’ordre de 2 à 10 m3/h en plateau et de 30 à 300 m3/h en vallée voir plus localement.
L’alimentation de la nappe et ses exutoires
- Recharge : cf. rôle hydrogéologique des argiles à silex décrit par Dupont J.-P et al. 2009
- Drainance (d’autres entités à travers des niveaux semi-perméables) : possibilité de drainance des entités tertiaires sous le plateau de la Madrie
Partout où affleure le Crétacé Supérieur, la nappe est libre, l’alimentation s’effectue par les pluies efficaces que n’arrêtent pas les recouvrements limoneux et la couverture d’argiles à silex, lacunaire le long de thalwegs et percée en de multiples lieux (bétoires). La recharge de la nappe s’effectue donc en deux temps, presque immédiatement après les pluies en vallées et par le jeu des bétoires, plusieurs semaines ou mois plus tard sous les plateaux.
Cet étalement amortit les alternances de périodes sèches et humides et régularise le débit de la nappe. Le rôle hydrogéologique des argiles à silex dans les processus de recharge de la nappe de la craie a fait l’objet de travaux de recherche par l’université de Rouen. Une description en est faite dans le rapport Dupont J.-P et al. de 2009.
L’étude d’Arnaud L., Baran N. (2009) ont mis en évidence des vitesses d’infiltration dans la zone non saturée de l’ordre comprises entre 0,4 et 0,65 m /an sur les 2 sites étudiés en Haute-Normandie (Goderville et Mousseaux-Neuville).
Après avoir atteint la zone saturée de la craie , les eaux s’écoulent vers les exutoires de la nappe. La vitesse d’écoulement est très variable selon la perméabilité du réservoir. Contrairement au karst qui se développe dans la craie non saturée, le karst noyé n’est pas facilement explorable. Son étude est faite sur la base d’expériences de traçages. Plusieurs expériences se sont révélées positives (cf. données de l’inventaire du karst en territoire haut normand).
Après avoir convergé des plateaux vers les vallées sèches et humides, les eaux de la nappe de la craie alimentent la nappe alluviale et le cours d’eau qui la draine.
Les vallées qui entament les formations de surface constituent des axes de drainage de cette nappe, et la présence de nombreuses sources sur les flancs de ces vallées constituent les phénomènes visibles de cette drainance.
Les sources importantes sur le territoire haut-normand (débit et répartition géographique) sont également l’indice de l’existence des réseaux karstiques. On peut citer les plus importantes : sources d’Yport (1500 l/s), de Bonneville sur Iton (1250 l/s), de Hondouville (1180 l/s)…
La piézométrie de la nappe
Diverses cartes piézométriques ont été établies à des échelles départementales ou régionales. Ces cartes piézométriques sont consultables et téléchargeables dans l’article du SIGES des Atlas hydrogéologiques en Normandie (ex-Haute Normandie).
La surface piézométrique de la nappe de la craie épouse fortement la morphologie du sol qui, elle, dépend en partie de la répartition de la fissuration de la craie . Elle forme des dômes d’alimentation sous les plateaux où l’aquifère , peu fissuré, a une fonction capacitive, et des dépressions dans les zones fissurées drainantes à fonction transmissive (vallées humides et sèches, réseaux « karstiques »).
Les fluctuations de la nappe sont de plusieurs types : elles comportent des variations annuelles et interannuelles du fait de la fonction à la fois capacitive et conductrice de l’aquifère selon les secteurs.
En se rapprochant du niveau de base, l’emmagasinement interannuel disparait au profit de la fluctuation annuelle (moins de stockage disponible, accentuation de la fonction transmissive).
Dans les zones de plateau éloignées des niveaux de base et peu drainées (plateau du Neubourg, plaine de Sainte-André, Roumois), la fonction capacitive de l’aquifère est prépondérante, les fluctuations saisonnières sont à peine visible.
L’illustration suivante présente des exemples de ces 3 types de fluctuations : annuelle avec niveau de base bien marqué à Normanville, pluriannuelle avec quasi-absence de fluctuation annuelle à Fourmetot, mixte à Farceaux.
- Comparaison des graphiques d’évolution de 3 piézomètres aux fluctuations annuelle, pluriannuelle et mixte (BRGM)
Les réponses hydrologiques de l’aquifère de la craie sont ainsi très diversifiées. Les causes de cette diversité ont été analysées sur 40 piézomètres de la Haute-Normandie, sur une période de 25 ans dans la thèse de El Janyani S. (2013). La position géomorphologique (plateau/vallée) apparaît la plus déterminante, le rôle du drainage des karsts de restitution semblerait être à l’origine du renforcement des réponses événementielles et du cycle annuel observé pour les piézomètres de vallée ou à proximité immédiate de celle-ci. Pour les piézomètres situés au niveau des zones d’alimentation sur les plateaux, les tests statistiques ont permis de mettre en évidence l’influence de trois paramètres hydrologiques et géologiques : la puissance de l’aquifère , les épaisseurs des argiles à silex et de limon de plateau, en plus de l’importance des gradients hydrauliques et de la distance des écoulements.
L’ONA et les cycles pluriannuels
L’ONA est un phénomène de balancement à grande échelle de la masse atmosphérique entre les régions sub-tropicales et les régions polaires. Elle est mesurée par un indice.
La mise en relation de la pluie mesurée en Normandie, et de l’indice ONA (Oscillations Nord – Atlantique) met clairement en évidence l’anti-corrélation des événements à long terme. Le corrélogramme montre qu’au pas de 2 ans, un indice positif favorise des épisodes de sécheresse dans le nord de la France alors qu’un indice négatif ou nul provoque des hivers et des printemps arrosés (Pinault J.-L.).
C’est ainsi que le phénomène de cyclicité faisant alterner des épisodes de sécheresse aux années humides et qui est particulièrement frappant depuis les années 1970, est probablement imputable aux variations à long terme de l’ONA dont la périodicité est actuellement autour de 10 ans (Pinault J.-L.).
Le suivi quantitatif de la ressource
Le suivi quantitatif ou piézométrique , sur de longues périodes, permet de connaitre l’évolution du niveau des nappes, de réaliser des statistiques, de calculer des périodes de retour des niveaux les plus hauts ou les plus bas et de modéliser, le cas échéant, les fluctuations selon des scénarios prédictifs. La plus ancienne chronique sur la craie haut-normande a démarré en 1968.
Le suivi est organisé selon un réseau de mesure ou réseau piézométrique , dispositif de collecte de données correspondant à un ensemble de stations de mesure servant à suivre la piézométrie en différents points d’une nappe. Les mesures acquises à un pas de temps généralement horaire, sont collectées dans la banque de données ADES au pas de temps journalier.
En Haute-Normandie, le BRGM assure le suivi d’un réseau de 70 piézomètres : 65 des 70 piézomètres suivent l’aquifère de la craie . Ces réseaux sont cofinancés par l’AFB (ex-ONEMA), les départements de l’Eure ,de de la Seine-Maritime et le BRGM.
Le suivi qualitatif de la ressource
Le suivi qualitatif est organisé selon des réseaux de mesure analogues à ceux du suivi piézométrique (banque de données ADES).
L’exploitation des eaux souterraines
Du point de vue ressource, la nappe de la craie est fortement sollicitée pour tous les usages (agriculture, eau potable, industrie) car elle constitue souvent l’unique ressource économiquement exploitable.
La quasi-totalité des besoins en eau potable de la Haute-Normandie est satisfaite à partir des eaux souterraines prélevées dans la nappe de la craie . Les autres aquifères exploités (ou ayant été exploités) sont les Sables de l’Albien et les formations du Tertiaire (sables et calcaires). Les alluvions de la vallée de la Seine sont quant à elles très utilisées par l’industrie.
Les données de prélèvements sont disponibles via la BNPE (Banque Nationale des Prélèvements quantitatifs en Eau), banque qui collecte les volumes d’eau prélevés pour l’intégralité des usages.
La vulnérabilité de la Craie Normande
Là où la nappe de la craie est libre, les puits traditionnels sont nombreux et, de par leur conception, ils peuvent contribuer au transfert des eaux superficielles polluées vers la nappe. Plusieurs captages d’eau potable ont ainsi été abandonnés en raison de la mauvaise qualité de l’eau et de l’impossibilité de les protéger efficacement.
Le karst haut-normand génère en surface des effondrements naturels (les bétoires) qui constituent des points d’engouffrement des eaux superficielles vers la nappe phréatique de la craie , sans filtration naturelle par le sol.
Le karst de la craie est à l’origine de la turbidité : la qualité des eaux souterraines en Haute-Normandie est soumise à de fortes contraintes liées aux phénomènes d’érosion des sols sur les plateaux ainsi qu’au système d’écoulement souterrain des eaux de pluie qui s’engouffrent dans ces pertes karstiques (bétoires), traversent la craie en partie dans des conduits naturels à écoulement rapide (karst) avant de ressortir aux exutoires ou dans les forages (notamment AEP).
Les données de l’inventaire du karst de Haute-Normandie (inventaire des bétoires, des campagnes de traçages) sont consultables et téléchargeables via le SIGES.
La vulnérabilité de la nappe de la craie est donc très variable d’un point à un autre du territoire haut-normand ; elle doit être définie localement par la prise en compte de l’ensemble des conditions naturelles favorables (recouvrement, nappe profonde, vitesse d’écoulement lente, lit de cours d’eau colmaté…) et défavorables (bétoires, endokarst, puits de marnières, nappe subaffleurante, craie fissurée, pertes en cours d’eau…).